7
UNE bien ordinAire HiSTOIRE vRAIE
UNE bien ordinAire HiSTOIRE vRAIE
Lorsque
l’on prend de l’âge, la vie quotidienne devient de plus en plus délicate et il
convient de se ménager. Mais les contraintes de la vie quotidienne restent inexorables.
Sans doute, pour autant qu’on évite le drame, s’amoncellent les multiples
tracas et petits problèmes de santé, nécessitant toujours plus de place pour la
pharmacopée, et donc l’amoncellement des médicaments. Ainsi avions nous décidé
de remplacer notre vieille armoire à pharmacie, qui recueillait d’ailleurs tant
d’autres objets plus ou moins hétéroclites. Elle était devenue encombrante et mes
vieux os avaient eu beaucoup de mal à la descendre jusqu’au rez-de-chaussée, à
la demande forcenée de mon encéphale et de mon épouse. Ne pouvant la charger dans mon véhicule, pour nous en débarrasser en la portant à la déchetterie, je m’étais décidé à appeler
les services de la mairie, afin de connaître leurs propositions pour se charger et me décharger de l'enlèvement adéquat.
C’était
un vendredi matin et je faisais le numéro communal sur mon portable. Après un long
temps d’attente à l’écoute d’un répondeur téléphonique débitant les horaires d’ouverture
de la mairie, et les horaires d’accès, - pour lesquels j’étais pleinement dans
le créneau – l’attente, sans plaisanterie dura néanmoins cinq minutes. Enfin
une voix énergique me stimula.
-
Allô ?
-
La mairie de Sancé ?
-
Oui c’est Blandine
-
Bonjour Blandine, ça me fait plaisir de vous entendre !
-
Que puis-je pour vous ?
- J’aurais besoin d’un renseignement, je cherche à me débarrasser d’un
encombrant.
- Excusez-moi Monsieur, mais la personne qui s’en occupe vient de s’absenter…
Pour une petite commission… Pouvez-vous rappeler d’ici un quart d’heure, elle sera
de retour
-
… Oui, pas de problème ! Alors à tout à l’heure !
Précautionneux et
toujours respectueux des horaires de mes rendez-vous quels qu’en soient leur
objet ou l’enjeu, je rappelais quinze minutes pétantes plus tard. Même combat
ardu avec le répondeur pour le même temps d’attente. Sans doute la normalité de
l’époque ? D‘autant que l’on est vieux et retraité. Donc cinq minutes plus
tard de nouveau la voix forte de la standardiste. Cette fois j’étais plus
incisif.
-
Allô, Blandine ?
-
Oui, vous êtes qui ?
-
Je suis le monsieur d‘il y a un quart d’heure.
-
C’était pour quoi déjà ?
-
Un encombrant.
-
Ah ! Oui… Mais ma collègue n’est toujours pas revenue.
-
Je suppose que la commission était plus importante que prévue ?
-
C’est sûr. D’ailleurs, on passe souvent nos journées à courir d’un service
à l’autre pour trouver des solutions à vos problèmes.
-
Le citoyen que je suis ne s’en plaint pas. C’est très gentil à vous, même
si parfois ces courses prennent plus longtemps que prévu, car ça a été le cas
l’autre jour pour nos enlèvements d’ordures ménagères qui n’avaient pas été
enlevées par les éboueurs.
-
Ça c’est la faute de la « Cétroto » !… Enfin de la communauté
de commune qui s’en occupe.
-
Oui, c’est ce que l’on nous a dit par mail, « Adressez-vous à la « Cétroto », mais plus d’un mois après notre réclamation. Nous étions mal
lotis pour leur signifier un mois plus tard l’objet de notre réclamation ?
En cela nous aurions pu compter sur les services communaux pour le leur dire en
temps utiles, ne pensez-vous pas ?
-
C’est comme ça ! Revenons-en à votre affaire
-
Oui mon encombrant ?
-
Écoutez ? Elle n’est toujours pas revenue, pouvez-vous me donner votre
numéro de téléphone, et je lui dis de vous rappeler dès qu’elle revient ?
-
Je peux compter sur vous ?
-
Oui, pas de problème.
Je m’exécute et donne mes coordonnées téléphoniques à
la préposée. Je vaque à d’autres occupations. La journée se passe et vous
n’allez pas le croire… Effectivement, point de rappel téléphonique. Le weekend
arrivant je n’aurais pas de réponse avant lundi prochain. Je me décide à
repousser dans un coin le moins préjudiciable l’imposante armoire à pharmacie
afin qu’elle ne nous gâche pas le weekend.
Le lundi matin était pluvieux. Après avoir pris le
petit déjeuner, en me dirigeant vers ma
boite aux lettres, je me retrouve nez à nez avec l’envahissant encombrant,
enfin c’est lui qui se rappelle à moi. Je saute sur mon téléphone et pianote pour
obtenir le numéro mémorisé de la commune. Banco, de nouveau le répondeur qui
re-débite ses heures d’ouverture que je connais par cœur, mais cette fois ci au
bout des cinq minutes inévitables, ça raccroche. Malpoli en plus le répondeur !
Je réitère mon appel, rebelote et dix de der, le même topo, ça raccroche. Déjà
vingt minutes de perdues, la moutarde me monte au nez. Ni une, ni deux j’endosse
mon imper et mes chaussures et me voilà parti à la mairie qui est sise à dix
minutes à pied, ça sera plus rapide que de m’énerver après leur foutu
téléphone. Arrivé devant la porte de la mairie, ô surprise, une affichette avec
annotation « aujourd’hui fermeture exceptionnelle de la mairie de Sancé ». Merci pour le
renseignement ! Je me demande dans mon for intérieur s’il y a un employé
municipal chargé de mettre à jour le texte du répondeur du téléphone ? D’autant
qu’en dix ans, à services identiques, la population de ma ville étant restée la
même, le nombre d’employés communaux avait doublé ! Je fais quelque peu la
gueule me disant que dès demain il me faudrait être à l’heure de l’ouverture.
Ce que je vais faire bien sûr quelque peu irrité par
les problèmes occasionnés aux citoyens par une dégradation lente et progressive
de nos fondamentaux. J’arrive donc en premier et deux messieurs me suivent de
peu lorsque la préposée nous ouvre les portes à l’heure passée de cinq minutes.
-
Bonjour
-
Bonjour… Blandine peut-être ?
-
Oui, quel est votre problème ?
- De prime abord, vous dire que le citoyen n’arrivait pas à vous avoir au
téléphone ce lundi car votre répondeur n’a pas été mis à jour pour signaler votre
fermeture exceptionnelle, qui laissait croire à une erreur ?
-
Pfft ! Avec nos horaires décalés on a beaucoup de mal à suivre.
-
Est-ce une bonne raison ?
-
Si ça continue, on va faire grève comme à la SNCF pour se faire entendre.
Voilà, mais à part ça, tout va bien ! Autrement vous vouliez.. ?
-
Voir la personne qui devait me rappeler vendredi dernier après sa commission ?
-
C’est-à-dire ?
-
Un problème d’encombrant.
-
Ah ! C’est vous ? Il faudra revenir, car aujourd’hui elle n’est
pas là.
-
Vous vous moquez ?
-
Non, elle est en stage ? Repassez demain.
-
Ah ! non ! Ça suffit. Je n’ai pas du tout l’intention de faire
ça. Je veux voir quelqu’un qui s’occupe de moi.
-
Mais il n’y a personne pour vous voir Monsieur.
-
Les services Techniques ?
-
Ils ne sont pas là.
-
Monsieur Lardant ?
-
Il est en congés.
-
Alors quelqu’un du secrétariat du Maire ?
Elle rechigne, mais devant mon insistance s’exécute.
Les deux messieurs font grise mine. Mais son bigophone sonne dans le désert.
-
Il n’y a personne.
-
Je le vois, mais je ne partirai pas sans réponse.
-
Mais je ne peux pas vous trouver quelqu’un comme ça ?
Manifestement elle semble s’énerver, et j’imagine
qu’elle me verrait déguerpir avec plaisir.
-
Il n’y a pas un responsable ?
-
Non.
-
Un élu ?
-
Il n’y a personne.
-
Je fais une simple demande pour un service communal, et on me ballade
depuis bientôt une semaine sans aucune réponse, rien. Je téléphone, rien, sinon
des attentes de cinq minutes à écouter un débile enregistrement. Je me déplace
on ne veut rien entendre ni rien me dire. En plus, quand on écrit pour une
demande, on n’a aucune réponse. Trop c’est trop, d’autant lorsqu’on s’acquitte
de ces impôts. On peut espérer que ça marche… au moins un minimum !
-
Je suis désolée, mais il faudra repasser !
-
Alors donnez-moi au moins le numéro de téléphone de monsieur le Maire.
-
Ah ! Non !
-
Eh bien alors j’attendrai que vous me trouviez quelqu’un
Devant ma ténacité, elle se rassoit et fini par
prendre un papier pour me demander sur un ton vindicatif et excédé
-
C‘était pourquoi exactement ?
Je ne sais dire pourquoi me passa dans la tête subrepticement
la phrase d’un vieux sketch de Fernand Raynaud intitulé les deux croissants « Fallait faire autre chose si vous ne
vouliez pas faire commerçant ! ». Sans me départir je lui répondais.
-
C’est pour un encombrant dont je voudrais me débarrasser.
-
Oui et alors ?
-
Je voudrais connaître les conditions pour ce faire ?
-
C’est toujours le troisième mercredi du mois que nous les enlevons.
-
Eh bien, encore fallait-il le savoir. Voilà la réponse au service que
j’attendais.
-
Mais il faut vous inscrire auprès de ma collègue.
-
Celle qui est en commission sinon en stage ?
-
C’est ça. Elle doit vous inscrire sur son registre.
-
Dites-moi ? Vous ne pouvez pas lui transmettre sur un bout de papier mes
coordonnées ? Mon nom, ma rue pour qu’elle l’inscrive sur son cahier de
doléances ?
-
…
Son silence, ou bien sa décontenance me stupéfie.
-
C’est qu’elle doit vous inscrire pour confirmation.
-
Parfait ! Dites-lui de m’envoyer un mail d’infirmation au cas où elle
ne puisse m’inscrire. Mais qu’elle n’attende pas un mois pour me le dire car
je sortirai mon encombrant ce troisième mercredi sur mon trottoir... Au revoir Blandine.
Nouvelle
N° 7 du 19 mai 2019
PoURQUoi PAS ?
D’où venait il beau comme un Dieu ?
Le vieil homme ne sut y répondre. Il
savait juste que c’était un fils du vent ; il ressemblait trait pour trait
à la photographie d’un petit indien qu’il avait vu dans l’un de ses livres
d’enfant… Encore une réminiscence ? C’était le jour. Ce gamin le faisait
d’ores et déjà pénétrer la légende de la région, avec une certitude c’est qu’il
était amoureux de liberté et empreint de vérité ; son royaume était l’espace, sa
religion le rêve, et le taureau son dieu. D’un rythme fauve, dans une parfaite
harmonie aux fragrances douçâtres qui paraissaient monter du sol, il avait à la
fois un visage doux et brutal ou l’on croyait voir une étincelle dans ses yeux
comme s’il avait fait feu d’une arme naturelle. Quand il prit sa guitare pour
plaquer ses accords mélodieux à aucun moment l’ermite s’attendait à sa première
question :
—
A ton âge, tu dois pouvoir me dire qui a fait le monde ?
—
Un vaste sujet mon garçon...
—
Chez nous ce genre de réponse équivaut à pratiquer l’art du mensonge !
—
Tu sais les choses de la vie vont et viennent, mais je vais essayer de
répondre avec grande humilité… Jeune apprenant, j’ai cherché comme toi à
comprendre le monde. Pour cela j’ai étudié la géographie. Tu fais me rappeler
que l’un de mes plus éminents professeurs de l’Institut de Géographie Alpine
que nous avions quatre heures par semaine, avait commencé un jour son cours
ainsi : Mesdemoiselles, messieurs,
je vais sacrifier deux minutes de mon précieux enseignement, afin de ne pas
taire le sujet et vous parler du soi-disant scientifique Wegener que je
qualifierai plutôt de médiocre chercheur fou ; il prétend que les
continents dérivent… Quelle utopie ! Imaginez donc les forces physiques
surnaturelles qu’il faudrait mettre en œuvre pour accréditer une seule seconde
de telles billevesées ! Passons donc aux choses sérieuses… »
Pourtant mon garçon, pour ceux qui n'ont pas fait de lien entre l’évolution
darwinienne et la tectonique des plaques, c’est le sujet fondamental ; on
sait aujourd’hui que ce sont les modifications climatiques et géographiques qui
ont programmé et dirigé l'évolution après la genèse initiale du big-bang.
—
Tu deviens intéressant grand-père, mais tu ne réponds pas vraiment…
—
C’est que c’est plus long qu’un conte ou une légende… Il y a 5 milliards
d'années, la création du système solaire offrit l’ébauche de notre Terre
recouverte d’un océan immense avec quelques morceaux de continents épars à la
dérive ; les éruptions volcaniques intenses qui se produisaient de
partout, en milieu sous-marin et sous les bombardements de météorites
permanents ensemencèrent les mers près des cheminées volcaniques avec la
formation d'acides aminés dont quatre vont faire l’alphabet des ADN
d'information des gènes. Puis il y a 1 milliard d'ans va se constituer la
cellule, qui avec les virus et l’ADN qui la colonise vont lui donner un noyau,
puis des bactéries, dont leurs amas constitueront les méduses, les boudins de
mer avec des appareils digestif et reproductif de deux êtres identiques qui en
donnent un nouveau à leur image. Entre temps un astéroïde percute la terre et
en détachera un morceau appelé Lune qui provoquera marées et formation d'algues
créant ainsi l’atmosphère protectrice contre les radiations solaires et autres
météorites, celle que nous respirons. On me suit ?
—
Super intéressant… La Lune porte le numéro 18 dans le jeu de Tarot de ma
mère. Ensuite ?
—
Nous revoilà avec la théorie de Wegener publiée en 1912… encore ignorée en
1968 par notre société, mais qui est belle et bien vraie. Avant la dérive, une
convergence des continents épars a créé la Pangée, un supercontinent formé au
Carbonifère regroupant la totalité des terres émergées qui se morcelèrent au
Trias en Laurasia et Gondwana. Au Cambrien, il y a 500 millions d'années,
l’explosion des vies marines après 3 milliards d’années sort de l'eau donnant
les végétaux et les insectes, puis les vertébrés poissons, les amphibiens ; là
la laitance en milieu hydrique donne des œufs avec coquilles permettant
l’enterrement des œufs dans le sable chaud et la sortie hors d'eau : les
branchies deviennent poumons. C’est la venue des reptiles puis des dinosaures
simultanément ancêtres des mammifères ; comment ne pas regarder
spécialement l’ornithorynque qui pond encore ses œufs en Australie
aujourd’hui ?
—
Fabuleuse votre histoire, dites en plus et plus vite…
—
Vite… Quand je te parle de milliards d’années…
—
Aujourd’hui le temps c’est de l’argent.
—
La Pangée éclate ; au Nord la Laurasie donnera l’Europe, l’Asie, l’Amérique
; au Sud le Gondwana séparé par l’océan Téthys formera l’Afrique, l’Australie,
l’Antarctique, l’Amérique du sud, et l’Inde.
—
L’Inde ? Ça m’intéresse.
—
C'est le Gondwana qui va t’intéresser ; il y a 150 millions d'années,
l’aire des dinosaures est partout et les petits mammifères non placentaires,
tels les marsupiaux partent avec la dérive de l’Australie, l’Antarctique,
l’Amérique du sud et un essaimage d'îles ; quand l’Inde se détache avec les
mammifères placentaires, les lémuriens colonisent un dédale d'îles dont
Madagascar, la Réunion, etc. avant de rejoindre l’Asie avec des mammifères
complets, ancêtres de nos primates il y a 75 millions d'ans. Quand la dérive
tectonique qui conditionne climats et autres éruptions, fait se rencontrer
l’Amérique du Nord et du Sud les mammifères placentaires éliminent les
marsupiaux. C’est à cette même époque que tombe un astéroïde de 12 km dans le
golfe du Mexique, qui élimine les dinosaures, avec pour seuls descendants les
oiseaux et les petits mammifères, les insectes deviennent rois sur terre. En
Afrique les primates colonisent avec l’effondrement de la vallée du Rift ;
à l’Est la savane du Kenya où le primate se met debout pour survivre et à
l’Ouest ou les primates restent en forêt. Ensuite à l’Est les primates deviennent
Australopithèques ; Homo habilis ; Homo erectus ; il y a 700000
ans le Neandertal arrive en Europe glaciaire, fait du feu, puis il y a 100000
ans l’Homo-Sapiens tente une première sortie d'Afrique ; mais c’est un
échec en Mésopotamie. Finalement une sortie d'une famille en mer Rouge se fait
à 75000 ans à mer basse car l’Europe est glaciaire ; ce sont eux nos
vrais ancêtres. De Mésopotamie, ils vont en Australie, en Inde, en Asie et en
Europe en dernier du fait de la période glaciaire. C'est encore la tectonique
qui règle tout. L’Australie se balade au pôle Nord puis revient vers l’équateur
à toute allure. Le Sapiens rencontre le Neandertal en Mésopotamie, mais il n’y
a pas de vrais croisements malgré quelques gènes communs. Le Neandertal disparaît
avec la dernière période glaciaire il y a 30 000 ans. La moralité et la
conclusion mon garçon c’est que la biologie quantique égale le cantique de la
vie. Le temps a une direction vers le désordre à partir de l'entropie initiale
du bigbang de 13, 8 milliards d’âge ; tout s'use, dégénère, l'expansion
est continue et s'accélère vers l'infini et les galaxies vont au néant, seule
la vie humaine va dans l'autre sens : le désordre initial mène vers l’ordre
d’une évolution orientée avec finalité ! Pourquoi ? La génétique, l'anatomie
comparée, les fossiles, permettent de suivre l'évolution et de bannir toute
création… Voilà.
Un peu abasourdi, mais en confiance le
jeune fils du vent exhiba au vieil homme sa précieuse relique, une médaille
d’argent symbolisant un taureau qui scintilla aux rayons du soleil. Il voulut
l’entrainer jusqu’à la mer, dont les vagues a l’écume blanche ondoyait
esthétiquement sous le vent. Face à la mer, sur le sable virevoltant et jauni
de la plage, il courut dans l’eau en éclaboussant volontairement son maître,
qui percevait les embruns lui fouetter le visage d’une fraicheur brumisante.
Ils semblaient tous les deux être dans un autre monde. Jamais le vieil homme
n’avait réussi aussi bien à se confondre à une ombre, à se mêler de la sorte à
des rites tribaux, à revenir a des souvenirs subliminaux. il n’était plus
l’étranger ; il regarda son jeune prodige frapper les cordes de sa guitare
d’un revers de main, puis chanter des airs de flamenco mélancoliques, imprimant
de tout son être une énergie animale. Puis s’arrêtant, il le regarda en silence
de ses yeux noirs transperçant, il tituba légèrement et sans prononcer une
parole, adressa un regard empreint de toute la misère du monde. Sa foi semblait
entremêler l’idolâtrie à la prière. Cela rappela à l’ancien des amis musiciens
qui cherchaient du temps de l’anecdote de Wegener un nom de groupe ; Ils
eurent voulut s’appeler les Gypsies,
on les baptisa les Princes. C’était
il y a longtemps et non point en Camargue.
—
Si tu m’expliques où est Dieu, je te chante ma chanson fétiche…
—
Mais toi peux-tu me dire où il n’est pas ?
—
Tu te moques de moi ?
—
Mais non… La preuve je continue. Si les anciens Darwiniens s'en tiennent au
hasard, la vie si complexe ne peut se résumer à une partie de dés d’Einstein.
Les évolutionnistes actuels font intervenir un déterminisme entropique sur une
vie avec programmation mathématique scientifique basée sur la physique
quantique : les particules sont aussi des ondes obéissant à une induction -
jugée irrationnelle par Einstein -, mais telle que leur agencement,
trajectoire, propriétés sont concordantes et synchronisées, afin qu'elles
restent en relation et ce, quelle que soit leur trajectoire spatiale et les
obstacles. Ainsi chez tout vertébré l'évolution embryologique se fait par
induction de proximité à partir de la Chorde - une sorte de baguette rigide mais flexible,
située dorsalement entre le tube neural et le tube digestif, important centre
de signalisation du système nerveux – dont les cellules vont se différencier pour se
spécialiser selon disposition spatiale de proximité. En somme c'est l'histoire
de l'évolution en raccourci. Chez les invertébrés et les végétaux existent
aussi ces processus d'induction de voisinage d'ordre quantique dans le sens le
plus favorable pour la survie. C'est notre situation puisque nous les humains
sommes les élus, tous les échecs se sont éteints. Ce roman de l'évolution est
si complexe, multiple, adapté à toutes situations sous une infinité de formes
adaptatives à travers les obstacles et les catastrophes perpétuels que le
hasard mutationnel seul ne peut expliquer sans une nécessité orientée, dirigée,
un ordre entropique unique dans l'univers connu avec peut-être d'autres vies
ailleurs, des milliards de galaxies, mais obéissants aux mêmes lois avec des
résultats différents vu l'environnement. Cette loi est logiquement mathématique
et physique, et logiquement probablement quantique, on le saura bientôt. La
constante de Hubble a permis de dater l'univers à 13, 8 milliards d'ans, et
cette expansion continue accélérée malgré les forces gravitationnelles, va
jusqu'à l’effondrement final et le trou noir et l’énergie noire du vide absolu
terminal…
—
Serais-tu un prophète ?
—
Grand-dieu
non ! Je ne suis pas un prophète, mais un simple esthète de cette vie qui
m'interpelle et intrigue tous les athées hâtés, par leur fin et faim de vie.
Curieux je suis, soucieux de chercher et donner un sens à nos vies autre
qu'un coup de dés hasardeux, ou encore une multitude de Dieux hypothétiques
tout puissant inventés dans l'obscurantisme d'il y a 3600 ans en Egypte,
Palestine, Perse et autres lieux.
—
Pourquoi
dis-tu ça ?
—
Regarde déjà
la diversité des formes de vie sur une même terre selon les variations
climatiques, géographiques, tectoniques, cataclysmiques dont je t’ai parlé.
Alors imagine ailleurs, sachant que le système le plus proche est à 70 années
lumières en parcourant à la vitesse de 300000 km/sec. Seul un liquide sérum est
indispensable pour transporter tous les éléments dès l’apparition d'une vie
aussi simple soit elle ; l'eau est idéale, mais on peut imaginer un gaz
liquéfié selon température afin que les chromosomes ne se cassent à température
trop basse ou trop haute ; les gènes avec leur alphabet à quatre lettres
font des milliards de codes, écrivent et commandent toute notre généalogie et
notre constitution et ils sont indispensables à toute forme de vie même
primitive.
—
Qui croire
alors ?
—
A chacun son choix éclairé par sa propre lumière, à
savoir son âme… Qui pourtant n'existe nulle part, ni dans notre encéphale
reptilien, ni ailleurs dans notre corps. Même si les soviétiques ont cherché
vainement à la peser juste après la mort avec leurs 21 grammes. En somme et à
regret, rien, absolument, irrémédiablement rien ne nous permet objectivement de
donner un sens à notre vie à titre individuel; collectivement oui, ce qui nous
ramène au concept précédent, à savoir un maillon de l’espèce. Mais rassure-toi,
envers (prosaïquement) et contre toute logique scientifique et naturelle,
j'adhère au concept herméneutique sacralisant l'homme, et comme tout un
chacun je me cherche un sens, une transcendance, relevant d'un immanentisme, -
ce caractère divin de l'homme -, abscons car irrationnel et souvent évanescent,
sans fondement et dont l'inférence est essentiellement culturelle, donc
infondée, en contradiction totale avec ma raison. Ce faisant je n'oublie pas
qu'une grande partir de mon ADN est issue d'une inclusion virale parasitaire
initiale et que le reste est essentiellement d'origine bactérienne puis
animale. Oh ! l’humilité...
—
Tu es incroyable ! Tu crois ou tu ne crois
pas ? C’est important pour moi, car la nature...
—
Là tu me parles de
la nature… La nature fait-elles les choses comme il faut ? Conviens
mon garçon que ce n'est pas la nature qui s'adapte à la vie ! Mais c'est bien
la vie qui s'adapte à la nature. La vie n'est pas naturelle, si elle est
effectivement apparue sur terre, bien tardivement, ses matériaux initiaux, ses
briques sont d'origine extraterrestre. Et loin de lui faciliter la tâche, la
nature lui a toujours été hostile, et pour se pérenniser cette vie initialement
unique a du perpétuellement affronter les colères d'une nature essentiellement
hostile. Pourquoi la protéger puisqu’elle ne cherche qu’à nous détruire ?
Cette vie a utilisé envers et contre toute nature tous les moyens possibles
pour « survivre » » à cette même redoutable nature. Je suis donc
« par nature » contre nature. J'oppose la vie à la nature, car la vie
a du perpétuellement composer pour se soumettre à la nature et se pérenniser.
C'est l'issue d'un combat contre nature qui nous a fait ce que nous sommes. Le
moyen, mieux, l'arme qu'a utilisée la vie pour affronter la nature est
l'évolution, la sublime et transcendantale évolution qui a permis
de surmonter les perpétuels pièges tendus par cette nature hostile que d'aucuns
vénèrent. C'est un éternel combat sans vainqueur ni vaincu puisque jamais
fini ; la vie est condamnée à s'adapter à une nature changeante bien que
morte. La nature est morte, ou si tu préfères elle est mortelle car
vieillissante et vouée à l'usure du temps alors qu'à l'inverse la vie est
florissante, s'épanouit, se construit, se diversifie et se perfectionne avec le
temps. C'est de l'univers, le seul élément dont le sort prospère à l'encontre
de tout autre qui dépérit: les galaxies, les trous noirs gloutons, les astres,
les planètes, la matière non organique, y compris la matière noire, toute
matière de l'univers à la particule s'use, vieillit et s'éteint, tout, hors la
vie, est périssable, transitoire, mortel, finissant.
—
Ma nature est pourtant belle ? Avec ses chevaux,
ses taureaux, ses flamands…
—
C’est la vie qui est belle.
—
Moi j’aime la vie… C’est si beau la vie…
—
La vie est un épiphénomène de l'univers, de même que
la conscience est un épiphénomène de la vie. Ceci est vital certes quelque part
encore mystérieux, mystique pour beaucoup, pas pour moi. Cette vie n'a pas
besoin d'être mystique ni mythique pour être vénérée et adorée, elle est son
propre substrat, son propre déterminisme, son propre sens, son unique
justificatif et elle se suffit à elle-même, « être ou ne pas
être ? » Elle est, elle est mouvement, elle est avenir, elle est
devenir sans fin. Son outil est certes l'évolution adaptative et surtout son
moyen est la reproduction sexuée. L’adage, ou aphorisme « la nature
fait bien les choses » est un contresens, une contrevérité scientifique,
sémantique, métaphysique et philosophique absolue. Si la nature est première et
périssable, la vie est suprême, transcendantale. On pourrait parler de
« génération spontanée originelle » à faire s’indigner Descartes et
les croyants, contrairement à une nature dégénérescente et périssable. Certes,
scientifiquement, une vie spontanée est inconcevable et irrationnelle, pourtant
depuis qu'elle s'est un jour allumée cette vie se perpétue par ses propres
moyens et se perfectionne à l'infini, auto-entretenue. Personne, sans être
prophète, ni Pascal ou Descartes, ne peut nier que la vie première est issue de
matière ; un jour lointain, ancestral, il y a 3, 7 milliards, dans
certaines conditions, sur Terre, et peut être ailleurs et dans d'autres temps,
de la matière s'est animée pour donner naissance à une seule vie primitive et
fruste qui par la suite n'a jamais cessé de se construire, de devenir autonome
et de se perpétuer par tous les moyens, y compris le hasard, le temps, en
utilisant de multiples voies, vu les différentes espèces, dont une majorité
s'est éteinte en impasse. Contrairement à toute nature morte, la vie a mis
le temps à son profit, elle en a fait son allié pour s'améliorer, se
perfectionner et devenir indéfectible. Elle est dès lors au-delà et par-delà le
temps.
—
Que deviendra la vie dans tout ce que tu dis ?
—
Tu as raison… Que pourrait donc être cette vie
totalement insensée, irrationnelle, immatérielle, jamais aboutie donc
perpétuelle. Pour l’humble sous-produit que je suis, si elle est sans fin, elle
a une finalité, donc un objectif. Je ne puis admettre qu'elle soit uniquement le
fruit d'un hasard ; elle s'est tant structurée et sublimée jusqu'à générer du
« spirituel », car de la matière naquit l'esprit. Lequel esprit étant
par essence immatériel, comment pourrait-on l'expliquer sans admettre une
volonté extrinsèque suprême ?
—
Donc tu crois en Dieu ?
—
Il fut un temps ancien, ou l'homme désarmé, forcément
obscurantiste par ignorance, vulnérable
et menacé, exposé et mortel, ne s'est pas voulu fortuit ; par crainte et par
orgueil il a cherché et cru trouver une solution appelée Dieu ! Ce pis-aller
lui a donné un sens, une âme, une éthique, une place et un but. Cela faisait de
lui l'être suprême, - revu et corrigé par Robespierre, quand il mettait à bas
la chrétienté - et qui en outre apportait l'éternité individuelle. Superbe
solution offrant le pain béni. L’homme n'était plus le fruit du hasard mais
l'Élu bénit d’un Dieu généreux. Il s'en est même un temps attribué non pas un,
mais une multitude. Ce subterfuge gratifiant et sécurisant s'est perpétué
probablement 50000 ans sous une forme plurielle devenue maintenant univoque. A
tel point que l’on rapporte la parole suivante du pape Jean Paul II s’adressant
à des scientifiques : « Ce qu’il y a après le big bang c’est pour
vous, et ce qu’il y a avant, c’est pour nous. » Revenons sur terre en
admettant et acceptant notre humble ignorance. Nonobstant les acquis
scientifiques récents permettant d'entrevoir, de subodorer une réponse, une
solution raisonnable ; elle sera rationnelle, physicochimique, et tendra à une harmonie
d'ordre quantique. Un grand chemin a été parcouru, et actuellement c'est la
biologie quantique qui devrait apporter enfin une réponse à la question que tu
te poses « Qui sommes-nous, d'où venons nous, où allons-nous ? »
—
Pourquoi ?
—
Au Pourquoi ? J’opposerai le « Pourquoi
pas ! » Nous n'avons pas besoin de pourquoi pour être là à partir du
moment où on sait qu'on est là et comment on en est arrivé là. À chacun son
pourquoi, son sens personnel au-delà de l’Espèce. L'explorateur Charcot
avait appelé son navire le « Pourquoi pas », c'était un défi, tout
comme l’exploreur Wegener en découvrant la dérive des continents à fait avancer
notre savoir sur l’obscurantisme.
—
Tu sais que je suis un Manouche ?
—
Oui.
—
Nous sommes d’origine indienne et tu m’as expliqué que
mon continent avait dérivé du Gondwana…
—
Oui.
—
Tu m’as aussi fait prendre conscience de la vérité de
ma croyance.
—
J‘en suis heureux pour toi.
—
Je dois mon amour de la musique au grand Django
Reinhart, et je t’offre ce cadeau d’amour, afin que tu restes divinement bien dans la beauté de la vie.
En totale confiance, le jeune fils du vent
regarda dans les yeux le vieil homme en silence, et lui chanta sa chanson
fétiche « Les yeux noirs ». Puis il disparut dans la nuit tombée,
sans avoir prononcé toute autre parole, lui ayant juste adressé un clin d’œil
pour les quelques euros qu’il lui avait vu glisser dans la poche de sa veste.
Nouvelle
N° 6 du 6 avril 2016
5
Réflexions du miroir
Réflexions du miroir
Il ne pensait pas faire de dédoublement de la
personnalité en se regardant encore une fois dans la glace de la chambre
d’hôtel ; il voulait simplement parler, enfin lui parler… parler à l’autre,
celui de l’autre côté du miroir. Il ne lui voulait aucun mal, ni le déranger, pas
même l’effrayer, simplement lui parler, mais à peine ouvrit-il la bouche qu’il
perçut les quelques larmes qui perlèrent de ses yeux. Lui ne voulait pas se
livrer, il ne cherchait qu’à le comprendre… à établir un contact, un lien, à mieux
connaître sa vérité… En quelque sorte comme s’il avait voulu se parler à lui-même ?
Où parler à cet autre qu’il connaissait si peu, celui à qui il se refusait de
ressembler, qu’il n’aurait pas souhaité être ? D’ailleurs il n’aimait pas
son visage si sévère, cette auto protection permanente qui masquait ses
souffrances et sa peur d’exister. Il engagea finalement la conversation.
—
Toute cette enfance a donc était une période difficile ?
—
Oui.
—
Difficile, pourquoi ?
—
Vaste sujet, immense dilemme ?
—
Sans doute la période d’après-guerre et puis votre éducation.
—
On se vouvoie ?
—
C‘est plus facile pour moi et respectueux pour vous.
—
Ainsi soit-il.
—
Évitez-moi ça.
—
Pour répondre
à votre question, j’ai vécu une enfance très ordinaire Monsieur. De l’amour,
dans la famille il n’y en avait guère, pour ne pas dire point, du moins je ne
me souviens pas qu’il y en ait eu. De plus il n’y avait pas d’argent pour faire
bouillir la marmite…
—
Des moments
de bonheur ?
—
« Ces
petits riens de la vie qu’on ne voit pas ? » Vous tenez ce slogan de
votre mère, n’est-ce pas ?
—
Laissez-ma
mère tranquille et en dehors de tout ça ! En avez-vous eu ?
—
De
quoi ?
—
Du bonheur.
—
Quand mon
père tirait avec mon pistolet à fléchettes pour faire tomber les desquamations
de la peinture du plafond jauni de la mansarde où nous vivions à quatre ;
je me rappelle l’évier carré crasseux et cassé de la cuisine qui servait de
salle d’eau pour se laver. Pas facile de se tenir propre tous les jours dans de
telles conditions… Réfléchissez-y. C’est sans doute ça qui s’appelle le bonheur.
—
Où
dormiez-vous ?
—
Mon aîné et
moi couchions dans la petite alcôve sans jour.
—
Mauvais
souvenir ?
—
Il ne
m’aimait pas, il me frappait.
—
Vos parents
n’intervenaient pas ?
—
Mon père
tentait de tuer des pigeons dans la cuisine en leur cassant le col pour le repas
du jour avec des petits pois. Il s’ingéniait à les capturer sur le toit qui
jouxtait la fenêtre de la cuisine. Ma mère était souvent dehors à arpenter les
trottoirs... pour prendre l’air et échapper à ce bouge.
—
J’en déduis
qu’ils ne vous protégeaient pas.
—
Mais ils
avaient tous les deux peur de celui qu’ils avaient engendré sans jamais pouvoir
l’amadouer ; je ne vous parle même pas de l’ambiance familiale due à ses
fréquentes sautes d’humeur. Je l’ai vu fendre une porte en bois d’un seul coup
de poing.
—
Ce
frère ? Qu’est-ce qui le caractérisait ?
—
Sa violence
ne vous suffit donc pas ?… J’y ajoute sa haine à mon encontre. Mais peut-être
n’existe-t-il pas de différence au niveau fraternel entre haine et amour ?
J’échappais au cloaque par mes distractions.
—
Vos
distractions ?
—
Du balcon de
la rue je guettais les charrettes des marchands ambulants. J’entends encore leurs
cris : ceux du chiffonnier, un gagne-denier qui parcourait inlassablement
les rues de la ville avec dans sa carriole une multitude de loques, de nippes,
de vieux linges et autres rebus, ceux aussi du marchand de peaux « Peaux
de lapins, peaux ! » ou encore le hurlement du rémouleur avec son
grand tablier de cuir qui passait deux fois par an en poussant devant lui ses
lourdes meules de grès. Je ne vous parle pas des livreurs de charbon qui déversaient
leurs sacs de grésil de 20 kilos dans les caves sans oublier le ramoneur et le
rempailleur. C’était ma principale occupation que de les voir déambuler.
—
D’autres
souvenirs ?
—
Oui. Comme
nous étions au quatrième étage je découpais des feuilles de papier journal en
petit morceaux et les lâchaient du haut de la balustrade pour les voir
s’éparpiller et virevolter comme des flocons de neige. Ou bien encore de mon
poste de guet à longueur de journée, je comptais le type de voitures qui
passaient au bas de ma rue… La Dauphine et la 403 Peugeot arrivaient souvent en
tête. Voilà quels étaient les jeux de l’enfance… du petit garçon solitaire.
—
Néanmoins de
beaux souvenirs, en vérité…
—
Assez avec
vos flagorneries mielleuses qui se veulent apaisantes mais sûrement pas anesthésiantes !
Pour moi, monsieur, les mots qui riment avec ce que j'ai vécu étant gosse ne sont qu’au pluriel, hurlements,
raclées, violences, punitions, insultes, peurs, angoisses, culpabilisations,
tout cela sur fond de malaise social. J‘ai enduré la souffrance de façon quasi
permanente. Je n’avais pratiquement pas de contacts affectifs qu’ils soient
verbaux ou physiques, alors la tendresse est un sentiment que je n’ai pas
appris à développer pour ne pas savoir quel sens lui donner. Difficile alors
d'établir des relations avec les autres, quand le désespoir, la détresse, et
les idées suicidaires deviennent votre lot quotidien.
—
Pourtant…
—
Taisez-vous !
J’ai cru au Père Noël… Et puis lorsque tout s’est effondré après ils m’ont fait
croire au bon Dieu. Comme le pape je suis passé de la toge rouge au linceul
blanc. De six à treize ans la messe en latin tous les dimanches et pour tous
mes anniversaires je recevais des icônes de saints ?
—
Cela vous a
été sans doute d’un grand secours pour ne pas perdre pied.
—
Lorsque je
priais en classe pour ne pas être interrogé par le prof ?
—
Vous ne
saviez pas vos leçons ?
—
Je n’avais
aucun moment pour les apprendre et personne pour me les faire réciter.
—
Pourquoi ?
—
Une famille
toujours en bagarre, un aîné qui haïssait le père, l’insultait en voulant le
frapper, une mère anxieuse déchirée par ces luttes intestines assistante
condamnée à entendre ces violentes logorrhées qui transmettaient malaise et
mal-être, je devrais plutôt dire « distillaient » avec des cris et des
pleurs à longueur de temps.
—
Point
d’échappatoire ?
—
Une semaine
l’été dans les jardins potagers de Provence de cousins éloignés
—
Un havre de
paix ?
—
Plutôt un
bagne colonial !
—
Je ne
comprends pas ?
—
Vous faites
le mariole ?
—
Non !
—
Allez donc savoir
ce qu’il advient des mousses sur les bateaux ! Maintenant ça suffit !
L’introspection a des limites…
—
Mais aujourd'hui…
—
J’ai appris deux choses pour ma survie : à vomir et à fuir. Les
nausées sont devenues l’apanage de mon réveil quotidien, leur intensité était
le baromètre de mon état de santé. Toute angoisse ou stress s’accompagnait de ces
nausées, toute nausée s’accompagnait de fuite, et toute fuite menait au
sempiternel toboggan de la déchéance. J’ai passé ma vie à fuir…
—
Avec des mots plus simples dénués de sentiments de haine et de rancœur il
n‘y a point eu de famille aimante ?
—
L’amour, voilà bien le grand mot lâché. Mais chez ces gens-là monsieur
existait-il seulement de l’amour ? Ils se houspillaient, se déchiraient et
se détestaient tant, chacun avec son ego à faire reluire et ses sous à
économiser. Il n’y avait pas d’eau pour faire fleurir la plante. Il n’y avait
que l’anxiété pour la faire crever.
—
Vous êtes pourtant là.
—
Mais à quel
prix ? Mais dites donc, vous monsieur qui faites le beau devant moi,
êtes-vous heureux ?
—
Je pense
que… oui.
—
Pas de
nausées le matin ?
—
…
—
Pas de
fuites devant la vie ?
—
Je me sens
parfois seul.
—
Fuyez-vous ?
Telle était ma question.
—
Oui
parfois ?
—
Quand ?
—
Mon premier
amour peut-être ?
—
Pourquoi ?
—
J’ai eu
peur… Peur de moi.
—
Vous avez
surtout eu peur d’aimer ! Des amis ?
—
De ce côté
ça va, il y a de quoi.
—
Les amis
sont des gens à qui l’on se confie. Quel est le dernier ami à qui vous vous
êtes confié ?
—
C’est ça...,
comme on dit « les vrais amis on les compte sur les doigts d’une
main… »
—
Ces amis, ces
personnes à qui vous vous confiez. Combien ?
—
…
—
A voir votre
tête et votre poing fermé ; Aucun n’est-ce pas ?
—
Je ne sais
plus.
—
Il est donc là
votre bonheur ? C’est ça le petit rien de la vie que vous ne voyez
pas ? Des nausées le matin… Vous fuyez, mon bon monsieur, tout comme
moi !
—
Taisez-vous !
—
Si
monsieur ! Si ! ll faut m’écouter.
—
Je ne veux
pas…
—
Vous ne
voulez pas entendre. Alors répondez au moins encore à une question… Faites-vous
la différence entre ces deux propositions : « Ai-je un jour aimé
quelqu’un ou n’ai-je jamais aimé personne ? »
—
Assez ! Vous créez le mal !
—
Mais moi, je vous aime monsieur… Vous voyez vous pleurer aussi…
—
Je n’ai peut-être pas d’amis…
—
C‘est ce que je viens de vous dire.
—
Mais vous…
—
Moi ?
—
Vous êtes mon pire ennemi.
—
Je ne le sais que trop bien, mais je suis maintenant bien installé là, en
face de vous…
Avant d'abandonner la chambre sordide qu’il avait louée pour se ressourcer
avant ses deux rendez-vous du matin, il fut pris de ces terribles nausées
quotidiennes. Il les connaissait tant, et savait à quel point il ne pouvait les
stopper tant qu’il n’avait pas vomi – il ne savait quoi, sinon rien – jusqu’à
entendre le sordide clapet, le hoquet libérateur lui permettant de reprendre le
dessus pour s’en aller de l’avant. Une demi-heure plus tard il s’acquittait de
sa note.
—
Je suis désolé… Mais j’ai malencontreusement brisé le miroir qui était sur
la table de la salle de bains…
—
Bingo ! 7 ans de malheur… Lorsqu’on casse un miroir, on dit souvent
que c’est la brisure de son propre moi qu’on fout en l’air, le reflet étant
souvent considéré comme l’âme.
—
La facture me suffira.
—
Rassurez-vous les miroirs sont aussi le refuge classique des démons. Vous
vous êtes sans aucun doute libéré et débarrassé du votre.
—
La facture s’il vous plaît ?
—
Mais nous sommes assurés pour ce genre de risques monsieur. Il vous en
coûtera juste le prix de la chambre… Vous étiez dans quelle chambre ?
—
La 17.
—
Là c’est plutôt bon signe pour vous, car le 17 au jeu du Tarot, c’est le
numéro de l’étoile flamboyante…
Lorsqu’il quitta l’hôtel du Paradis, il
huma l’air frais du matin et apprécia la lumière transmise par les rayons du
soleil. Il fêtait ses 30 ans aujourd’hui et avait toute une vie devant lui à
construire. D’abord concrétiser son entretien d’embauche et ensuite retrouver
la jeune femme dont il avait fait connaissance dix-sept jours auparavant au
cinéma de l’Etoile.
Nouvelle n°5 du 16 janvier 2016.
4
Lettre écrite lors d'un millénaire
Au moment de t’écrire mon fils, ma pensée parfois
m’inquiète, lorsqu’elle cherche à remonter le terrible dévers du passé. Mais
pourquoi donc faire la guerre ? Toujours la guerre ! Et voilà qu'il nous en arrive encore une ! Je
suis si soucieux de chercher et donner un sens à nos vies autre que celui d'un
coup de dés hasardeux, ou pire un hypothétique tout puissant inventé dans
l'obscurantisme du fond des âges.
C‘est enfant sur les genoux de mon père qui avait lui-même
connu la guerre d’avant la mienne, en étant resté orphelin de la précédente,
estropié par ses blessures, que j’ai appris l’histoire de celle qui précédait.
Quid dans ses récits de la détresse de ses soldats parqués dans des tranchées, englués
dans des fanges meurtrières, galvanisés par des paroles ordurières ? Il
m’avait conté son évasion dangereuse après avoir été fait prisonnier au combat.
Aurais-je pu savoir à ce moment que je serais moi-même combattant des années
plus tard et pour les mêmes bestiales raisons ? A la fin de septembre
quand nos alliés bousculés n’ont pu
tenir leur position, nous dûmes nous replier. Sur les mêmes lieux j’ai cherché
les endroits, les champs de bataille où mon père aurait pu passer. Tout comme
moi, tout comme toi, il n’était point belliqueux, mais tenu comme nous à
répondre à la nation demanderesse de sang et de chair fraîche pour combattre je
ne sais quel démon, lorsque celui d’en face nous ressemblait pourtant comme
deux gouttes d’eau. C’est sans doute ça faire son devoir !
Et pourtant je me pose cette
question : pourquoi l’agencement du désordre vers l’ordre, ne s'applique
qu'à la vie par l'évolution alors que tout le reste de l'univers évolue vers le
désordre ? Tout dans l'univers se dégrade, s'use, dégénère au contraire de la vie qui évolue. Seule la vie obéit à un processus inverse : du simple
vers le compliqué, du rustique vers le parfait, de l'archaïsme au sublime, de l'immobile
à l'animé, de la vie simple à une vie transcendantale, de la matière à
l'esprit. "Je pense donc je suis". Mais ô combien doit-on souffrir
afin d’y parvenir ? Aujourd’hui encore je m’interroge lorsque je te vois
engagé par notre pays pour le combat de la liberté. Ton sang qui sans doute
coulera vaut-il ce sacrifice, comme celui de ton grand père, de tes ancêtres et
comme le mien ? Tous médaillés de guerre, souvent à titre posthume. Sans
doute est-ce le prix à payer pour construire une Humanité qui ne devrait plus chercher
sans cesse à se détruire ? Quoique ? Il fut un temps ancien, où l'homme désarmé, forcément
obscurantiste par ignorance, dépourvu, vulnérable, menacé, exposé, angoissé,
mortel, ne s'est pas voulu fortuit et s’est inventé un autre monde par crainte
et par orgueil. Il a cherché et cru trouver la solution appelée Seigneur ! Était-ce
alors un pis-aller qui allait lui donner un sens, une signification, une âme,
une éthique, une place et un but ? Une position qui faisait de lui l'être
suprême, et qui en outre lui apportait l'éternité individuelle. Très chouette,
cette solution c'était du pain bénit. Il n'était plus le fruit du hasard mais
l'élu d’un père céleste généreux. De certitude, il s'en est même attribué non
pas un, mais une multitude. Ce subterfuge gratifiant et sécurisant s'est depuis
perpétué. Et toutes les guerres semblent nous ramener à ça !
Je suis assuré de ta fière allure et de ta droiture en
tant que jeune soldat pour mener ce nouveau combat en sachant simplement ce
qu’il faut faire. Combien de générations successives devront-elles encore en
passer par là ? Lors de mon adolescence j’avais cru tout comme toi que le
cauchemar que nous avions supposé à jamais écarté ne se reproduirait pas. Mais
l’angoisse nous étreint de nouveau. Je te sais bon, courageux et surtout
paisible. Mais je sais à quel point le devoir t’appelle. Je supposais comme un
pauvre idiot que ces guerres imposées et fratricides n’auraient plus lieu
d’être. Que l’Amour, le seul, le bon, le vrai triompherait. Mais non ! Certes
il y a toujours une reconstruction positive après de tels anéantissements, mais
l’homme est ainsi fait que l’économie de guerre étant la plus rentable, il la
pérennise. De cette situation intermédiaire de calme relatif, rapide et sournoise
reviennent les volontés de tout détruire et de nuire à la vie. Comment peut-on
rêver d’un monde nouveau et comment bannir la haine ? L’espoir de cette
société devenue meilleure, combien de fois en ai-je rêvé ? Une société où
chacun selon ses mérites pourrait vivre le meilleur de la vie. C’est le
problème de notre éducation. Dans l’Antiquité nous avions des Maîtres, que
sont-ils devenus au cours des siècles ? Aujourd’hui nous avons toujours
besoin de maîtres, mais combien sont encore à la hauteur, quand on voit à quel
point ce noble mot a été galvaudé. Le système éducatif dont nous avons
grandement besoin est celui de l’équité et de la justice sociale. Il convient d’apprendre
aux enfants à lire, écrire et puis compter ; voilà ce qui est essentiel
pour une société qui se construit sur des bases solides. Nous cherchions à
vivre dans une ambiance de paix et de travail, de respect et de trouvailles, de
morale, de droits et de devoirs. Nous n’avons pas besoin de psaumes ou de
versets ! Mais nous devons encore combattre pour notre liberté car l’idée
de mort flotte de nouveau comme un étendard autour de nous. Nous cherchons et voulons
vivre pour nous et pour les autres. Voilà l’une des raisons pour lesquelles tu
pars te battre de nouveau mon fils, pour une terre libre et féconde des alluvions
sanglantes, dans l’horreur infernale de ces batailles dévastatrices. Mais mon
cœur cherchera toujours ton cœur. Si le temps aseptise tout, je ne pensais pas
qu’il nous faudrait revivre ce qu’on vécut nos anciens. Ce n’est pas sans
émotions que je feuillette le carnet jauni de mon père qui lui-même devait
feuilleter celui de son géniteur, mort avant lui à la guerre pour la défense des
mêmes idéaux. Nous nous battons encore pour ce beau pays à qui nos générations
successives ont tant donné du meilleur de leur sang. Il convient de plus de se battre
contre la lassitude et le découragement si prompt à s’insinuer dans nos
consciences, afin de lutter contre l’obscurantisme et pour la liberté d’êtres à
disposer d’eux-mêmes et non pas à être traités comme bêtes ou esclaves ! Si
encore l’homme, supposé mammifère resté obscur, combattait pour vivre et pour
manger, ça pourrait se comprendre, mais se battre pour défendre des chimères
futiles, quelle aberration !
Te dire encore que je vois deux sens
possibles à la vie. L'un est basé sur la seule reproduction, assurant la
pérennité de l’espèce. C’est un sens sinistre. L'individu étant simple maillon
d'une chaîne continue, étape d’évolution, un véhicule de gamètes support d'un
patrimoine génétique spécifique. Une évidence pour tous les animaux, et donc pour
l'homme, puisqu'il résulte du même processus dont il est l'aboutissement.
L'autre sens, rassurant et orgueilleux, d'origine religieuse puis philosophique,
différencie, - mais à tort peut-être - fondamentalement l'Homme des animaux.
Chaque individu est une entité, un être spécifique nominé, avec une destinée
individuelle et un libre arbitre ; une personnalité avec sa spécificité,
qui en fait un être à part, l'élu. Alors, chacun a son choix éclairé par sa
propre lumière, cette âme, qui n'existe pourtant ni dans notre encéphale
reptilien, ni ailleurs dans notre corps, telle un trou noir. Et notre destinée
fait comme la roue de fortune, elle repart pour un tour, c’est à dire vers une
nouvelle guerre… J’avais la conviction
que la dernière guerre serait la dernière, et bien non ce n’était pas la der
des ders, et il nous faut encore monter au front. Je ne pensais pas mon fils,
et je crains qu’il en soit de même pour tes enfants, qu’il nous faille encore
longtemps combattre et nous dresser, pour défendre une chose sacrée qu’il nous
faudra sanctifier, la liberté. Elle seule permet de vivre et d’aimer d’entreprendre,
de progresser et de transmettre vitam aeternam et pour le bien de tous la vraie
fraternité. On se doit pour nos enfants de chercher l’établissement d’une vie
libre, tranquille et sereine, même si cela ressemble à demander la Lune.
Encore une fois te dire que si je t’écris, c’est comme
mes aïeux, pour dire qu’il faut aller vers ce monde d’amour qui ne corrompe et
n’aliène aucun être humain, homme ou femme en cherchant à l’assouvir à on ne
sait quelle règle obscurantiste soi-disant définie par un être supérieur. Il
faut combattre sans faille ni faiblesse, sans peur et sans reproche ! Il
nous faut encore monter la garde et vivre dangereusement avec le risque des bombes
et des massacres autant demain qu’aujourd’hui sans parler d’hier. C’est de
l’avenir de nos enfants, de notre pays qu’il en va, ce doux pays si bon pour ses citoyens, si accueillant pour les autres, et dont nous avons tant de
raisons d’aimer et d’être fiers.
Nouvelle n°4 du 27 octobre 2015.
Nouvelle n°4 du 27 octobre 2015.
3
La réclamation
Daniel
Gelland, Contrôleur Général du Crédit Régional d’Utilité Populaire recevait à
dix-sept heures comme tous les soirs l’inspectrice chargée de l’étude et du
traitement des courriers de réclamations afin de signer les lettres de réponses
à ces doléances. Il était du travail de cette responsable de faire une
note détaillée sur chaque dossier qu’il examinait avec la plus grande
attention. Mais aujourd’hui elle lui laissait un bien étrange échange.
Proposition de lettre réponse à la
réclamation de Monsieur François Combinole,
Monsieur Combinole,
À vous lire, vous n’êtes donc pas sans
savoir que L’école doit préparer les enfants à affronter l’avenir ? En
cela il convient de ne pas uniquement leur faire étudier « Les Misérables » de
Victor Hugo ! En refusant de prendre le recul nécessaire pour comprendre
les méandres réels de vos affaires, vous faites le lit de la turlupinade.
Sainte Beuve a dit : « Les
dettes qu’on diffère de payer abrègent la vie ».
Je ne pense pas que ce soit ce que vous
souhaitez.
Nous sommes donc prêts à envisager lors
d’un prochain rendez-vous l’échéancier nécessaire au remboursement de votre
ligne de crédit.
Veuillez croire, Monsieur, à l’expression
de nos sincères salutations.
Gelland
fut amusé de la bafouille quelque peu incongrue de sa collaboratrice et
souhaita lire la demande du client. Il se renversa sur son fauteuil, les
yeux mi-clos, observant la missive avec intérêt. L’écriture en pattes de mouche
suivait à la perfection les lignes prétracées d’un vieux papier à lettre. De
quelles vindictes François Combinol les accablait-ils ? Le client au prime
abord, vu l’entame du courrier, semblait ne pas aimer la gente masculine.
Madame,
Je savais déjà que tous les
banquiers administratifs étaient des
tires aux flancs car ils sont toujours la cause numéro un de l'engluement
inélégant de mon dossier. Aujourd'hui, je viens de comprendre qu'en plus de
tout cela vous n'êtes qu'un ramassis de voleurs. En effet, je viens de recevoir
de votre part une demande de l’amortissement immédiat de mon découvert, mais ce
montant concerne le prêt de Crédistar que j’ai du rembourser sur le champ.
Comme vous le savez très bien (suite aux maintes lettres de ma part) je ne
donne plus suite aussi à ce nouvel Ali Baba. Vous le savez d'ailleurs d'autant
plus, que vous n'envoyez même pas l'avis à mon ancienne adresse mais
directement chez ma tatan ou je réside depuis l’accident survenu à ma maison.
Il est donc totalement utopique que je vous verse le moindre centime des sommes
que vous tentez de m'extorquer.
Je ne veux pas passer à la Banque, alors
ce que j’ai à vous dire, je le fais par cette lettre. Je vais être à découvert
de cinq mille euros en plus, juste après avoir touché ma paye, et pendant plusieurs
mois, car je ne veux plus rien demander aux crédits Sodingo et Sélémem, pour prêter
de l’argent. Ils m’ont prêté, mais je ne m’en sors plus alors j’arrête
là ! Vous je ne vous demande pas d’argent, simplement ne faites rien
contre moi, car je resterai découvert ! Même si j’ai encore de quoi
m’habiller. Cinq mille euros ce n’est pas la fin du monde pour vous. J’ai
l’autorisation d’être à découvert, mais que de mille euros. Vous allez me
dire : « C’est ballot ». Faites
payer des agios, n’ayez pas peur, je ne vais pas faire sauter la Banque pour
ça. Mais ne me convoquez pas, je ne viendrai pas ! Le dernier entretien
que j’ai eu à la Banque, c’est vous que ça a arrangé, pas moi !
Aujourd’hui faites en sorte que je puisse être dans le rouge jusqu’à cinq
mille euros. Évidemment si je peux faire beaucoup mieux, je le ferai. Enfin je
veux dire, si je suis moins dans la mouise...
Vous m'avez dit un jour qu'en matière de
banque, la bonne foi du client était toujours présumée. Je m'étonne en
conséquence que vous m'infligiez un pénalty pour mon petit prêt sans but : je
n'ai pas voulu dépasser la limite, il se trouve que je ne l'ai pas vu du tout.
J'espère que la nuance ne vous échappera pas ?
C’est vous qui me taclez sur la réparation !
C’est vous qui me taclez sur la réparation !
Ce n’est pas ma faute si la veille de
Noël, en passant du côté de la gare, j’ai rencontré Jean-Joël. Il faisait du
stop, et comme j’étais seul, car ma femme m’avait quitté la veille, je l’ai pris
en charge. Vous savez de nos jours c’est rare de trouver des gens compréhensifs
et gentils. Jean-Joël est de ceux-là. Je
l’ai invité à venir à la maison passer quelques jours pour me tenir compagnie.
Je l’ai hébergé le soir du réveillon. Il est belge. On a mangé des moules
frites et des huitres et bu de la bière d’abbaye. J’aurais préféré du cidre. Je
n’ai pas compris qu’il soit parti le lendemain aux aurores, sans même un au revoir,
et je ne pouvais prévoir qu’il m’emporte mon chéquier. C’est les achats qu’il a
fait qui m’ont mis à découvert si haut. Ça ne m’a pas profité. Sinon je vous
rends les chèques qui me restent et je ne poserai plus ma paye chez vous. Je me
suis jamais vraiment plu dans votre banque, mais j’étais correct jusqu’au jour
ou en une heure de bla bla bla vous m’avez pris (ou plutôt volé) 200 euros.
J’aurais mieux fait d’aller voir une pute, au moins j’en aurais eu pour mon
argent.
Pourtant j’ai un bon métier. Je suis
Directeur de l’école du bourg où j’habite mais vous savez, à l’âge que j’ai
actuellement, les enfants me prennent le chou, enfin la tête ! Il a fallu que
j’organise le voyage de fin d’année et avec ma femme, qui est aussi
instit, je n’ai pas eu le choix dans la
date du voyage de fin d’année. Nous sommes allés à Saint-Claude. Ma femme m’a
dit que ça me plairait surement. Vous savez que je ne suis pas un homme à
histoire. Je n'ai même pas protesté quand son chien qu’on avait emmené, a sauté
à la tête de l’un de mes élèves et lui a fait tomber ses lunettes. Je les ai
réparées tant bien que mal avec du scotch mais je sais pas si j’en ai trop mis,
ça a empégué les verres et les parents m’ont dit que leur fils louchait depuis.
Moi, son maître, J’ai du payer des lunettes neuves, et personne n’a voulu me
rembourser et surtout pas Ségolène qui s’est fait la malle ! Nouveau
crédit ! Encore plus de découvert, j’arrête tout chez Confinouga et Mégafinasse.
Je vais être à découvert de mille euros à peu prés de plus, moins ce qu’il y a sur
l’autre compte d’épargne, environ dix euros cinquante sans compter les intérêts
que vous me devez sur cet encours.
Vous savez donc que ma femme m’a quitté
en revenant du pays de la pipe, avec son salaire, je ne m’en serai jamais
douté. Du coup comme dernière indécence, elle ne paye plus rien. C’est moi qui fais
bourses communes. Et elles sont à plat ! Ségolène est partie avec mon ami
Nicolas, qui me prêtait un peu d’argent de temps en temps pour joindre les deux
bouts. C’est un salopard ! Avec ce qu’il m’a fait, je ne lui rendrai pas ses
sous. Il a qu’à les demander à Ségolène ! Qu’elle le rembourse car elle a su
en profiter la garce !
Je vous demande de ne plus rien payer à
ce jour ! Je vous rembourserai ce que je peux tous les mois, si vous ne me
faites pas d’emmerde ! Sinon ça trainera avant de revenir chez vous,
j’étais avant à la Caisse Apicole et le jour où ils m’ont fait une vacherie, je
n’ai pas hésité à les quitter. Je suis parti en laissant l’ardoise de deux
mille euros. J’ai remboursé un an après ! Mais sans un centime d’intérêt
croyez-moi ! Alors, je ne vous volerai rien, mais ne me faites pas
interdit de chéquier, sinon on se sépare gentiment c’est plus simple.
Comprenez bien dans quel merdier je me
trouve. Avec Ségolène on a acheté à crédit une maison, juste à côté de l’école.
Avec un remboursement mensuel que je ne peux plus payer tout seul, vu qu’elle
payait la moitié avec moi. Le banquier, encore la Caisse Apicole veut que je la
brade. Pas ma femme, la baraque. Mais elle ne se vend plus au prix où je l’ai
payée ! Ça a chuté de moitié ! Je ne pouvais pas prévoir que la
future ligne du TGV passerait juste à côté, un an plus tard ? Ah ! Je
vous jure ! La guigne ! Ça a cassé le prix en deux, et comme elle ne
va pas payer sa part, je ne sais plus à quels seins me vouer. Manque de bol, dimanche
dernier, alors que je déjeunais avec des gens du voyage qui ont bien voulu me
donner un coup de main pour repeindre la façade de la maison pour lui redonner
de la valeur pour mieux la vendre, quand ils ont mis l’échelle prêtée par mon
voisin, une partie du toit est tombée sur la terrasse, ce qui a cassé l’échelle
et renversé la table qui s’est fendue sur les jambes de leur fille qu’il a
fallu mener à l’hôpital avec ma voiture conduite par un type qui n’ayant pas le
permis a eu un accident, en renversant le curé avec un taux d’alcoolémie élevé.
Le curé plus sage en vélo n’avait pris que son vin de messe. L’autre à lui seul
m’avait sifflé deux bouteilles de Chambertin-clos-de-bèze. J’y crois pas !
Pouvez-vous me dire si parmi ces divers incidents, l’assurance va rembourser
quelque chose ? Sinon le découvert va encore augmenter… Et c’est vous qui
allez encore pleurer !
Ah ! Oui ! Ne me téléphonez
pas, je ne réponds plus, car je suis pas chez moi ! N’y au boulot je n’y
suis pas non plus, car je suis en vacances de Février. Et avec l’autre qui a
quitté le foyer, c’est pas tatan qui va me souhaiter la Saint-Valentin ou me
bourrer une pipe ! Et pas de lettre recommandée non plus. Et ne vous
plaignez pas, ç’aurait pu être pire, et je ne suis pas grossier. J’espère avoir
été clair, ne me faites pas de problèmes, je serai correct, sinon vous
attendrez !
Je sais très bien que vous n'aurez pas
l'amabilité ni le savoir-vivre pour m'adresser la moindre excuse pour
l'incapacité chronique dont vous faites preuve à me traiter correctement. Et je
ne parle pas de vos traites blanches !
Pour mon propre salut, je ne vous fais
point de salut !
Gelland,
sourire aux lèvres, soupira. Sa collègue avait fait pour le mieux. Il se
remémora subrepticement l’ouvrage « L’esprit des mots » de Bonnet et Barreau
où il était dit : « Le langage n’est moyen de communication que parce
qu’il est d’abord médiation de la représentation. La pensée, donc le conscient,
nait de la dialectique entre le monde (univers des choses) et la langue
(univers des mots). Cet écart entre les mots et les choses n’est pas une
infirmité du langage ; au contraire, cette inadéquation des mots aux
choses est ce grâce à quoi on peut repenser le monde, créer des sens
nouveaux. » À Combinol, pour autant que ces sens fonctionnent bien, il ne
lui manquait qu’à foutre le feu avec de l’essence et à chanter « Tout va
très bien, Madame la marquise ». Pourquoi lui revint à l’esprit
succédemment le titre d’une bande dessinée de Morris : « Le filon fêlé du filou félon ».
Sans doute parce que cela collait mieux au double langage du requérant
Combinole qu’il avait perçu en le lisant ; on oscillait entre le balourd
pitoyable ou l’intello pervers qui, quel qu'il soit, leur en avait déjà mis pour plus de
dix-mille euros...
Nouvelle n°3 du 22 août 2015.
Nouvelle n°3 du 22 août 2015.
2
Le juron libérateur
Je vous écris
ce jour pour vous dire à quel point j’en ai marre, et vous livre la nouvelle.
Ne vous êtes-vous
jamais levé du pied gauche ?
Moi si, ce
matin même ! Face aux difficultés rencontrées cette année, ces derniers
mois, ces jours derniers, hier et surtout aujourd'hui, j’ai envie de tout envoyer promener.
Dur de se calmer dans de telles circonstances. Mais comme j’en ai plein le dos,
je suis chaud bouillant, et je hurle mes peines. Les gros mots sont un signe
d'énervement, de colère, mais restent surtout un moyen d’évacuation. Mais… C’est
juré, il ne faut pas jurer ; c’est ma regrettée créatrice qui me l’a entré
dans la tête, lorsqu’elle m’offrit la vie d’Emmanuel – celle de Jésus, bien sûr
- pour l’anniversaire de mes sept ans. Ma mère était croyante et ne voulait pas
qu’on offense Dieu. Je lui en veux un peu de ce précepte pavlovien et ne peut
m’empêcher de m’en prendre aujourd’hui à sa société sacralisée. Le blasphème restant
un plaisir de transgression majeure.
Nom de
dieu ! Jarnidieu ! Ventredieu ! Bon dieu de bon dieu !
Stop !
Ah ! Ça
fait du bien. Combien de fois ai-je renié dieu ? Une bonne trentaine… Une
fois par an. Mais les jurons chrétiens ça a du bon. Pour moi, c’est mieux que
l’invocation du diable. Je pense à ma cousine germaine, partie quelques années
auparavant au Canada ; suivant son amour et diable d’homme qu’elle avait connu en
France et qui souhaitait conduire les gros camions américains dans les
immensités canadiennes avant de la planter, dans tous les sens du terme dans la
froidure acadienne.
Tabernacle !
Vociférais-je en me rappelant sa souffrance.
Dire que moi
aussi j’avais prêté serment, jurant mes grands dieux, et je n’étais pas en
ire le jour du mariage, que c’était pour la vie. Que nenni ! Ma dulcinée
venait de me quitter soi-disant pour machisme avéré. Mon œil ! Elle avait trouvé mieux. Après tant
d’années ? Qu’avais-je donc fait au bon Dieu ?
Merde
alors !
A quoi bon
prendre le ciel à témoins ? Pour ma mère si l’acte de jurer est une
transgression et bien maman laisse-moi transgresser.
Sacredieu !
Et puis, m’est
tombé sur le coin du paletot cette pension alimentaire à payer pour un parent
indigent, que je ne connais même pas et d’autant que j’ai du mal à joindre les
deux bouts et que j’emprunte systématiquement pour payer mes impôts. Quelle
foutue société ! Ah ! Oui, je maudissais le Ciel, mais pas que lui.
Merde de
merde !
Je ne tenais
plus nerveusement et ma tension avait dû grimper au grand dam de mon toubib. J’éructais
encore.
Fait chier, cette
putain de planète ! Crotte ! J’en n’ai plus rien à foutre de payer taille,
dîme et gabelle ! Aux chiottes les suzerains !
Voilà que
j’avais pris l'exutoire des jurons scatologiques, mais je n’en avais que faire. La
solitude était devant moi, puisque ma mie était partie. Et avec qui ? Mon
meilleur pote ? Ce latino de pacotille, bronzé de ne rien faire au soleil, charmeur de bazar
et guitariste de bal de surcroît. Ça c’était bon pour la drague.
Enculé !
Enfoiré ! Empaffé ! Si ce type était ab initio un chieur, elle était in fine une belle salope !
Et pan !
Ce matin tout s’effondrait encore plus. L’huissier manifestait son appétence à
m’indiquer que mon bailleur me donnait congé. Je ne pensais pas possible de
trouver un multiplicateur aux emmerdes, et bien si : c’est en jurant
encore que je me remémorais les paroles de la chanson d’Aznavour :
« Mes amis, mes amours, mes emmerdes ». A part que personnellement je
n’étais pas monté en haut de l’affiche. En fait je me sentais plutôt blâmé
socialement. Un bon petit soldat persécuté un maximum parce que trop ordinaire.
Me revenaient mes émois littéraires et je tentais de me calmer avec des jurons
moins blasphématoires.
Palsambleu !
Il fallait que je m’en sorte.
Comme amateur
de bandes dessinées, le capitaine Haddock me conseilla ses mots pour calmer mes
maux.
Tonnerre de
Brest ! Anthropopithèque d’huissier ! Bachi-bouzouk de
musicien ! Ectoplasme de bonne femme ! Vous n’êtes qu’une bande de
pignoufs !
Non content d’être
cocu, d’être taxé à profusion, de perdre mon toit, je me trouvais également
redevable des dettes de feu mon père, qui avait décidé de quitter ce monde concomitamment
à mes problèmes au moment où il aurait pu enfin me donner conseil et me témoigner un sentiment. J’allais
encore profaner les dieux, alors que la sépulture était toute fraîche, car j’étais
raide, si je puis dire. Et dire que sa propre mère, ma grand-mère, préconisait elle aussi, de ne
pas jurer ! Je me remémorais sa vieille turlurette «
Bonhomme ! Bonhomme ! Tu n’es pas maître dans ta maison quand nous y
sommes ! Bouonhomme qué savé dzouga ? » La rengaine demandait au bonhomme ce qu'il savait jouer, et il répondait en donnant des noms d’instruments
étranges, comme la pistoulette, la guimbarde ou bien encore la tromboline. J’aurais
aimé savoir jouer de la pistoulette vis-à-vis du copain guitariste. Cela me
calma sur le coup en me faisant sourire à la pensée de ces vieux souvenirs.
Mais lorsqu’en cherchant ma boite de cachets pour le mal de tête, l’étagère
s’écroula, je me mis à maudire de nouveau ce monde sauvage que je souhaitais
rejeter à une distance infinie de moi-même.
Putain de
merde ! Fait chier !
Mon père
aurait dit : « Pu… naise ! Ou bien encore Mer… credi ! »
Je ne pouvais faire de même. Mais restant bêtement sur ma réserve et mes
marques, observant les dégâts à mes pieds, avec bris de verre dans la confiture,
mêlés aux courriers du jour et mes lunettes cassées, je m’essoufflais et
prononçais comme pour un désenvoutement :
Flûte !
Zut ! Purée de petits pois ! Saperlipopette !
Était-ce là une
acceptation à me faire entuber ? Entuber c’est mieux que dire enculer, n’est-ce
pas ? Je pensais à cette vieille amie d’enfance qui était plutôt une vieille
rivale jalouse de mon épouse… Combien de fois m’avait-elle enfumé de ses
clabaudages incessants sur autrui ? Feu son époux aimait Brassens et elle s’enorgueillissait
de l’aimer aussi. Mon cul ! Elle traitait tout un chacun de gros con, jeune con, sale con, vieux con, connasse, etc. À la longue, elle avait seulement retenu : « qu'on est toujours le con
de quelqu’un ». Elle avait de quoi faire, mais cela éclairait un peu
l’histoire. Une histoire qui n’avait rien à voir avec les mythes et légendes,
plutôt une histoire de témoignage, d’anecdotes ou bien encore un
apologue ? Une histoire de jurons. La dernière nouvelle en date fut le courrier porté par le facteur ce matin. C'était une élection ! La citation à comparaître trônait dans la marmelade et les tessons.
Bordel ! J'étais nommé juré… Appelé à rendre justice… Oups ! "Levez la main droite et dites : je le jure". À qui pouvais-je annoncer cette lourde nouvelle, sinon vous ? Mille millions de mille milliards de mille sabords de tonnerre de Brest !
Nouvelle n°2 du 30 mai 2015.
Nouvelle n°2 du 30 mai 2015.
1
LE VOYAGEUR
Ce matin en lisant
son journal, elle resta abasourdie à la lecture des chiens écrasés, de
l’article dévoilant qui était l’assassin de Marguerite. Jamais elle n’aurait
imaginé cela ! Toute espérance se délita de nouveau. Encore une fois la
lâcheté des hommes l’écœura. Elle conservait depuis trois jours, au fond de sa
vieille carcasse l’espoir de la revoir… De « Le » revoir aurait-elle
du dire ; c’est elle qui l’avait affublé de ce nom d’oiseau, lui si
majestueux dans ses allures de mâle. Il ne lui avait jamais tenu rigueur de lui
avoir donné ce regrettable pseudonyme. Son appréhension anéantie, laissait par
malheur la place à la redoutable détresse. Las, elle savait qu’elle ne le
reverrait jamais plus ! Lui qui accompagnait sans maugréer, avec grande
délicatesse, bienveillance quotidienne, ses fins d’après midi. Il berçait la
quiétude déshéritée de la vieille dame qu’elle était ; ses quatre vingt
quatorze ans en témoignaient de manière sclérosée.
Comment châtier
ces misérables qui l’avaient foudroyé ? Quelle justice prendrait en compte
la souffrance morale et la tristesse de la pauvre Marthe déboussolée, qui bon
pied, bon œil, veuve depuis si longtemps, avait trouvé en ce nouveau compagnon,
de la joie, des rires, une raison d’espérer et de perséverer dans ce chemin qui
méne inéluctablement à l’oubli. Toujours bien mise, empreinte d’une élégance
innée et rafinée issue des années trente qu’elle avait conservée tout au long
du périple, snobant les atteintes injustes et inéxorables du temps, Marthe était
une admirable battante. Elle était accablée d’avoir perdu Marguerite. Pour
échapper à l’absence lancinante, elle contemplait ces derniers jours, le seul
présent qu’il lui ait fait, en gage d’adieu, d’un signe prémonitoire ;
point de plus merveillaux cadeau, d’un si délicieux compagnon, au bout de cinq
merveilleuses années de fréquentation assidue. Qu’il était doux cet hommage
qu’elle avait pris pleinement pour elle, bien qu’il lui ait présenté peu de
temps auparavant, sa fiancée ; ça l’avait quelque peu perturbée. Elle
n’avait pu s’empécher, de donner un surnom à la belle. Elle l’avait baptisée
« Couine-Couine ». Sans doute, du fait qu’elle semblait se plaindre à
tout moment ; peut être aussi parce que la coquine, prenait sur le temps
magique que lui offrait fidèlement chaque jour Marguerite. Elle reconnaissait
bien volontiers, - ce n’était pas méchant -, qu’elle avait un peu cherché à
vilipender la belle ; une concurrente contre laquelle elle n’en pouvait
d’ailleurs mais.
L’'immémoriale ne savait plus quoi dire,
même si la promise n’avait pas forcément apprécié le présent que lui avait fait
son ami ; elle ne lui en avait manifestement pas tenu rigueur. Marthe la
regrettait elle aussi. « Couine-couine » assurèment avait été tuée
dans le même tragique revers qui s’était abattu sur l’ami si cher. Comment
poursuivre les meurtriers insidieux qui se tapissaient sournoisement pour
commettre leurs exactions ? Si elle les avait tenu sous la main, elle
aurait sans doute puisé au fond d’elle même une force surnaturelle pour les
détruire eux aussi, ces porteurs de malheur, ces fossoyeurs de vie. Elle savait
aujourd’hui à qui elle avait à faire. Les sicaires de son ami étaient les mêmes
que ceux qui pourrissaient sa vie, qui détruisaient son monde. Comment lutter
contre de tels monstres qui détiennent le pouvoir sans partage ? Si elle
avait su avant le drame, aurait-elle pu prévenir son grand voyageur, le
protéger, le recueillir, voir même le cacher de ses féroces ennemis ? Que
de terribles regrets en son cœur.
Marthe le revoyait faire le beau. Il
savait qu’il l’amusait. Elle se rappelait sa première visite. Il pleuvait ce
jour là. Il avait inondé son cœur de soleil, jaillissant dont ne sait où, beau
comme un phoenix que l’on n’attendrait plus. Ils avaient tout de suite sympathisé ;
ils s’étaient instinctivement plut. Lui par son audace, elle par son
enchantement. Elle ne lui avait témoigné aucune méfiance ; lui s’était
abandonné, fatigué de ses longues courses. Elle avait compris qu’il avait faim,
et avait regretté de ne pouvoir lui donner que les quelques miettes qui lui
restait de son dernier repas. Lorsqu’on est âgé, on mange moins, que ces
jeûnets dans la force de l’âge ; surtout on ne garde pas grand chose dans
son réfrigérateur. Ils avaient très peu échangés, préférant se dévisager, se
regarder, s’observer, mutuellement se comprendre. Que d’ardeur et de volonté
dans leurs yeux. C’est extraordinaire de voir naître l’amitié ? Elle se
souvint autrefois, du coup de foudre qu’elle avait eu pour son amant ; aujourd’hui
un petit rien de la vie que l’on ne voit pas, et voilà que s’installe à nouveau
le bonheur.
Il l’avait suivi
jusqu’au téléphone ; la sonnerie intempestivement, avait tirée la presque
centenaire de sa béatitude. Marguerite n’avait pu supporter de rester seule dans
le boudoir, craignant de perdre sa protégée, ou par politesse à son égard. La
déserrance du pélerin lui éveilla la richesse des ornements de son appartement.
Elle l’avait subtilement observé faire les cent pas dans son long vestibule,
comme s’il cherchait à tuer le temps que lui prenait l’interlocuteur du
téléphone. Elle en avait sourit. Puis, trop tôt déjà, il était reparti, comme
il était venu, sans autre explication. Elle ne s’attendait pas à le revoir dès
le lendemain, à la même heure. Là, avait commencé leur incroyable complicité.
Secrétement, hors du regard des autres, son nouveau compagnon venait ainsi tous
les jours lui rendre visite. Il ne lui demandait rien, si ce n’est sa présence.
Marthe parlait beaucoup. Marguerite écoutait tout. Marthe qui ne voyageait
plus, n’était jamais absente, enchanté de ce rendez-vous journalier. Ce
confident inespéré, Marthe l’avait révé, le hasard le lui avait procuré. Que de
joies et bons moments passés ensemble durant ces cinq ans ; que de
commentaires sur le monde et les hommes ; que de confidences faites au
creux des coussins moelleux des fauteuils ; que de compréhension entre
deux êtres que rien au demeurant ne semblait rapprocher. Le fier enchanteur
comprenait ses embarras liès à l’usure périlleuse du temps. Elle lui avait
parlé de tout, confié le moindre de ses secrets. Il comprenait tout, n’avait
jamais cherché à fuir les difficultés dans lesquelles elle l’avait parfois mis.
Il hochait la tête pour acquiesçait en s’agitant ; rarement il la secouait
pour lui donner tort. Une seule fois, ils avaient eu une prise de bec. Monsieur
avait fait l’énergumène en arrivant crotté, s’ébrouant comme un malpropre sur
le tapis, quémandant avec force son goûter. C’était peu de temps, il est vrai
avant qu’il ne lui présente effrontément « Couine-Couine » ! La
bougresse avait du lui damer le pion, elle l’avait subjugué, influant sur son
comportement, tant la pecheresse était avenante. La vieille dame avait ce jour
là cessé de l’appeler Marguerite, pour ne pas lui faire honte devant sa
promise. Il lui en avait su gré, relevant altièrement le col. Marthe ne lui en
avait pas tenu rigueur ; lui ne put s’empêcher dès lors de venir avec sa
future. Les confidences n’étaient bien évidemment plus les mêmes : la
pleureuse n’avait de cesse de s’immiscer dans toutes leurs conversations
amicales. « Couine-Couine » ne supportait pas les longues discussions
d’antan ; dès qu’elle en trouvait l’occasion, elle entrainait son Roméo
vers d’autres cieux, plus voués à leurs amours, que l’appartement ombragé de
Marthe. Parlons-en de l’ombrage. La tempête civile s’était abattue sur son
boulevard de verdure, qu’elle habitait depuis tant d’années. Adieu ses beaux
arbres abattus qui abritaient sa vie. Fini le temps ou elle n’avait pas à
mettre de rideaux à ses grandes baies vitrées, tant l’ombre magique des arbres
la protégeait des excès de lumière, de bruit, et d’impuretés. Maintenant il lui
fallait fuir le jour, ses pauvres yeux usés la faisant souffrir de tant de
clarté. Le bruit des marteaux piqueurs et des pelleteuses avaient remplacé
cruellement le doux gazouillis des oiseaux. Ainsi va la vie, qu’à la fin on
vous la froisse, sans autre égard, afin d’assouvir la vanité des hommes de
pouvoir. On vous pollue, puis on vous éradique le moindre espace de chlorophylle,
vous certifiant que le tram nouveau dans dix ans vous redonnera du
bonheur ! Quel lamentable plaidoyer pour la vie ? Qu’est ce qu’elle
en avait à foutre Marthe du tram ! Avaient ils calculé ses imbéciles
heureux ce qu’elle serait devenue dans dix ans ? Mais à qui se plaindre, a
qui évoquer sa révolte et son ire ? Seul son ami pouvait la rassurer, la
réconforter de ses déboires. Et voilà qu’on le lui avait arraché, odieusement
assassiné. Comment pouvait elle encore sur ce sujet hurler à l’injustice, elle
qui avait toute sa vie fait le bien, maîtrisé
ses émotions et ses abandons face à l’adversité qui l’entourait. Elle avait
échappé à la dernière canicule, voilà qu’on lui détruisait nonobstant son univers ! Elle ne demandait rien d’autre que
de vivre en paix et de finir paisiblement ses jours entourée de ses amis. Elle
ne s’attendait pas à ce qu’on les lui assassine !
Depuis que
Marguerite avait trouvé promise, Marthe lui avait dégotté un nouveau surnom, « Vol-au-vent ».
Cela ne lui déplut pas, bien au contraire ; le sobriquet était en rapport
avec ses longues courses qu’il effectuait chaque jour sur la ville. Marthe les
avait souvent tous les deux à diner le soir. Ils s’en donnaient à cœur joie les
deux tourteraux ; son appartement était devenu leur havre de paix.
Pourtant les deux adultes avaient largement les capacités pour subvenir à leurs
besoins. Ils s’étaient établis dans le secteur et n’entendaient pas en changer,
ce qui secrêtement satisfaisait parfaitement la vieille dame. Son ami restait
ainsi auprès d’elle, même si il venait accompagnée de sa dulcinée. Puis ils
s’étaient plaint tout comme elle de la destruction des grands arbres du
boulevard, du bruit et de la puanteur occasionnés par les travaux du tram. Il
lui avait fait comprendre qu’ils risquaient de quitter les lieux très
prochainement, sous la pression de « Couine-couine ». Marthe avait
été démunie sur le coup ; elle n’avait su comment les en dissuader, étant
elle même très critique face à cette situation, n’ayant pas les facultés à son âge
de quitter les lieux pour aller habiter ailleurs. Elle se dit qu’elle était
égoïste. Finalement elle serait très heureuse de voir celui qui lui était si
cher, partir couver sa vie de famille. Puis somme toute, ils étaient restés.
Marthe en eut un grand frisson de joie. Elle n’en fit rien transparaître, mais
au fond d’elle même, elle avait eu très peur d’affronter la nouvelle solitude. Lors
de la disparition de son ami, de prime abord, elle appréhenda qu’il soit parti
convoler en juste noces sans qu’il ne l’en avertisse. Mais elle réfuta la
chose, ce n’était pas son genre. Elle ne se doutait pas que le pire
l’attendait.
Toute l’horreur
était apparue à travers la lecture du quotidien. On avait éliminé physiquement
celui qui lui faisait si chaud au cœur.
Marthe contempla
la plume que « Vol-au-vent » lui avait abandonné en offrande lors de
son ultime visite. Deux larmes perlèrent de ses beaux yeux myosotis. Lui
aurait-on présenté la rémige d’un paon, que cette dernière n’aurait pu rivaliser
à ses yeux. Comment le bel oiseau avait-il pu préssentir qu’il vivait son
dernier jour, pour lui faire ce présent si cher, en guise d’adieu. Un fragment
de son corps. « Vol-au-vent » n’avait sans doute pas honoré « Couine-couine ».
Tel était le tragique destin de leurs amours funestes.
Le journal
relatait posément les faits de l’épuration des volatiles grenoblois jugés
nuisibles par elle ne savait dire quel nouveau Dieu. L’urbanisme était l’ennemi
mortel des pigeons. Les assassins n’avaient pas de noms, si ce n’est d’agir au
nom de la Société. C’était
l’un des prix à payer de l’inéxorable évolution de la civilisation polluante.
On abattait devant chez elle les merveilleux arbres, porteur de félicité. On
lui tuait son ami si cher. Au titre de quel développement ? L’homme restait
bien un loup pour l’homme, et surtout un tueur de pigeon !
Marthe regarda l’horloge
de son salon qui égrenait lentement le temps. C’était l’heure de la visite
coutumière de feu son ami le ramier, mais il ne viendrait plus. Elle reposa
délicatement, après l’avoir carressé, la plume de son regretté compagnon dans
l’écritoire de marbre de Carare blanc, s’assura de la fermeture compléte des
tentures de velours et s’enfonça dans son canapé, afin d’échapper grâce aux
émissions d’ARTE à la mélancolie. Elle espéra s’assoupir dans la sérénité,
bercée par le souvenir, dans l’attente de ce monde meilleur promis à tout
instant.
Nouvelle n°1 du 15 janvier 2011.
Nouvelle n°1 du 15 janvier 2011.
J'adore cette deuxième nouvelle, tout comme le roman "Le coeur en vrille".
RépondreSupprimerDJ
J'apprécie cette cinquième nouvelle... Cet être à double face, l'ambivalence de son état qui le pousse à vaincre sa partie obscure...Très bien construit
RépondreSupprimer