Le dépassement de l’ego
C’est l’arcane qui éprouve. L’arcane représente le cycle
d’évolution de l’égo qui a tendance à se refermer sur lui-même. Il désigne la
passion aveugle, la perte de liberté, la force au service de la matière que se
soit en bien ou en mal. Après l’ange de la Tempérance (arcane 14) l’autre ange,
Lucifer choisit la Liberté. Le Diable est pure transgression et c’est avec un
véritable signe d’humour qu’il ouvre avec son numéro 15, le troisième
septénaire du tarot : celui de l’esprit. Le Diable a pour attribution de
désunir l’homme du divin en lui faisant découvrir sa différence humaine et en
sachant que toute différenciation suscite une prise de conscience. Il symbolise
la génération qui déchaîne toutes les passions, surtout celles se rattachant à
la sexualité. Le diable symbolise le libre arbitre issu de l’arbre de la
connaissance et de la dualité résultante du bien et du mal.
Observons la carte. L’image nous montre un énorme
personnage, ambigu, mi-homme mi-bête, à la fois repoussant et fascinant.
L’icône pose le sujet que l’animal humain est coupable de sa pulsion de
vie : le péché de chair. L’arcane représente ainsi le Diable, un prince
des ténèbres cornu, debout sur une sorte de bassine rouge (symbole de pulsion) et
pleine de couleur chair (représentant l’animalité). Ses ailes de chauve-souris
nous enseignent qu'il règne sur les êtres grâce à la peur qu’il provoque, en
tenant aussi une sorte d’épée. Cet objet de pouvoir indique qu’il est au fait
des secrets de la Nature et qu’il en transmet une libre disposition, à la fois
divine et diabolique, selon qu’il active librement le bien ou le mal en
exerçant ses pouvoirs. Remarquez bien qu’il louche. Regarde-t-il son
nombril ? Le nombrilisme étant le culte de Soi, mais aussi la trace de notre première
séparation. Sur sa tête des cornes évoquent force, puissance,
croissance et chute. Ses griffes montrent son avidité. Sur le plan spirituel,
l’épée blanche dépourvue de garde, atteste que son action est juste et
nécessaire et que la
chair porte en elle le principe divin, comme son casque jaune est relié au
cosmique, il souligne que la chair est sacré et que le corps est un Temple pour
l’être. Sa main droite ouverte fait mine de jurer pour être dans la loi
et reste amicale pour informer de sa dépendance aux ordres du Très-Haut. Il nous met en face de
nous-mêmes. Le dessous du corps bleu, évoque que l’homme peut s’élever au
dessus de ses pulsions. La taille rouge désigne le lieu ou la pulsion devient
sentiment. Ses pieds reposent sur une masse de couleur chair,
informant que le Diable agit sur la matière. Des attributs séduisants pour un
personnage androgyne qui représente l'humanité et ses instincts : le sexe
l'argent et le pouvoir. Ces derniers générant guerres et conflits, l’être
humain étant toujours prêt à satisfaire son ego au détriment d'autrui... Son statut d’androgyne
dénote que nous sommes à la recherche de la source spirituelle.
En laisse avec des chaines deux diablotins (masculin et
féminin) semblent s'accommoder de leurs positions, attachés à l’autel du diable
du fait de leurs peurs et de leurs égoïsmes. Ils reposent sur un sol noir pour
démontrer qu’eux subissent la matière. Leur nudité les rend vulnérables. Ils
ont perdu leur liberté et sont devenus des esclaves. Leur regard est porté sur
les organes génitaux avec convoitise, ce qui souligne l’importance de la
libido. C’est nous qui engendrons les démons dont nous dépendons. Ces deux
personnages marquent aussi le solstice d'hiver, comme les tours de la Lune
(arcane 18) marquent celui d'été. Ce sont donc les pouvoirs magiques voués à
l’enfer qui sont décryptés. Voici ce qu’est la tentation du Diable pour un
homme doté de ces pouvoirs nouveaux, le plaçant à l’égal des Dieux. Il faut
apprendre à maîtriser ses peurs et ses instincts pour vaincre les illusions
afin de ne pas devenir l’esclave du mal. La lame représente l’influence du
destin ; soit on descend aux enfers de l’incarnation, sans parvenir à
vaincre les tentations, sans pouvoir démontrer la force de son libre arbitre ;
soit on vainc les pièges que sont les désirs, les émotions, les tentations
(dont la sexualité n’est pas la moindre), ainsi que la tyrannie de son ego, et alors on chemine vers la
sagesse. C’est vraiment la carte provocatrice du libre arbitre, et du discernement
entre le Bien et le Mal que décline le fruit de l’arbre
de la Connaissance, qui fait que celui qui en consomme, tient souvent à se
brûler aux pouvoirs de Dieu. Ainsi l’homme qui accède à la connaissance peut
succomber à la tentation de la convoitise, pour s’approprier des richesses
favorisant son ego, sauf s’il
parvient à rester maître de ses instincts, de ses vices, et de ses démons
intérieurs pour le service d’une œuvre universelle.
On peut faire un parallèle avec la dualité inhérente au
libre arbitre manifestée avec la lame de l’Amoureux (numéro 6) (voir Tarot – 2
du 22 septembre 2018), amoureux qui était déjà confronté entre ses désirs et sa
volonté, entre le vice et la vertu. Note intéressante : le nombre 15 est
une déclinaison du nombre 6 car 15=1+5=6.
Le Diable est l’instrument de l’éveil à la conscience, il
suscite le désir qui pousse à transgresser. Il est l’arcane du désir, de la
sexualité et de l’origine. Nous sommes issus du désir et de l’acte sexuel de
nos parents. Le Chariot (numéro 7), l’arcane du Moi (voir Tarot – 7 du
3/12/2018) avait pour fonction de gérer les pulsions inconscientes, à l’inverse
le Diable, transcende la pulsion en désir, il en fait la force divine émanant
de la chair. Si le Diable est la lame du désir, il est aussi forcément question
de culpabilité. L’arcane est construit en deux triangles ; un premier triangle de chair
formé par les trois personnages ou domine le diable et un second triangle, bleu
qui réunit la pointe des ailes aux chevilles du personnage central. Le triangle
chair symbolise le feu, alors que l’autre triangle bleu, symbolise l’eau, et
l’esprit. L’esprit descend dans la chair et la chair cherche à s’élever. En
superposant les deux triangles on obtient le sceau de Salomon qui symbolise la
synthèse des opposés et l’expression de l’unité cosmique. Il s’agit de
comprendre le retour de l’être divisé (Masculin-Féminin) à l’Un. Cette union
donnera naissance à l’androgyne symbolique et à la réalisation de l’être.
Autrement dit Dieu a grand besoin de l’Homme pour exister. Le chaudron rouge
contient la chair gonflée de désir, car elle se dilate sous l’action du désir,
chair sur laquelle se complet le Diable. Les ailes de chauve-souris, disent
qu’il vole la nuit, dans l’obscur de l’inconscient. Sans l’incarnation,
l’esprit ne pourrait pas prendre conscience de lui-même chez le Bateleur
(numéro 1) (voir Tarot – 5 du 5 novembre 2018). C’est encore l’un des sens
principal de cette carte. Les deux diablotins sont l’expression du
Masculin/Féminin, ils sont le mâle et la femelle à l’origine et à la pérennité
de l’espèce. Ils n’ont pas de nombril, mais sont reliés par un ombilic attaché
par le cou au chaudron, ce cou qui pour certains est la porte des dieux (donc
ici aliénée). Leurs bois symbolisent les côtés du mammifère et de
l’inconscient. Leurs oreilles mobiles évoquent la peur avec laquelle vivent les
animaux. Enfin n’oublions pas que Lucifer est un ange qui conduit à la lumière
comme l’indique son nom. Il convient donc bien ici de déculpabiliser la chair.
L’acte sexuel dont nous sommes issus donne toute la lumière du désir et de la
vie. Le désir de vivre c’est la puissance d’incarnation d’un principe créateur.
Le Diable est l’ennemi de l’unité.
Pour reprendre la célèbre formule de Descartes « Je
pense donc je suis » ne conviendrait-il pas de s’interroger de même sur le
désir ? Est-il bénéfique pour moi ou pour le groupe ? Ou est-il
l’assouvissement d’une pulsion, d’un besoin personnel ? Qui prend la
décision ? Notre conscient-mammifère ou notre réelle
conscience ? Le Diable nous propose sans cesse des tests diviseurs.
Tentateur, il nous amène à prendre conscience. Dans la peau du Bateleur, il
nous faut décider quels tabous sont à lever, car il existe alors une
possibilité de transcendance.
La vraie peur de la matière n’est-elle pas de laisser
s’échapper l’esprit ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire