Il apprend à lire
son ADN
Le nom de bateleur vient de
l’ancien français « baastel », signifiant marionnette ; c’est celui qui fait des tours sur les places
publiques. Dans le tarot le bateleur n’est
pas un amuseur mais un éclairé. Il suit le mat,
celui qui a tout perdu sauf la raison et qui porte tout le vécu dans un sac
à dos. Le bateleur est de facto la
première carte de la série des vingt-deux arcanes majeurs. Il est celui qui
débute la quête. Il porte le 1 et représente un jeune homme tenant une baguette
en main avec divers objets sur une table de couleur chair. Sa tête est ornée
d'un chapeau dont la forme rappelle celle d'un huit renversé, symbole de
l'infini. On peut remarquer qu'il n'a pas l'air de maîtriser parfaitement ses
instruments.
Cet arcane comprend aussi toutes les couleurs du Tarot
comme la carte de l’As de bâton. Elles sont les deux seules dans la totalité du
jeu. Cette carte est donc arc-en-ciel ; elle demande donc la restauration
de la connexion altérée entre le corporel et le spirituel ; elle évoque un
départ, une naissance, un commencement, un renouveau, une renaissance. En
vérité la matière, la chair, va prendre successivement conscience de l’esprit
et de la mort, mais dans quel but ?
Devant son tréteau à trois pieds, qui ne veut pas dire
stabilité précaire, car l’expression trinitaire est renforcée par la présence des
trois touffes, il découvre et comprend. C’est aussi la marque du côté
alchimiste, dont les trois pieds de la table représentent Soufre, Sel, et
Mercure. Le cyprès évoque l’arbre de vie (phallus). Le jeune homme extraverti,
regarde à droite son passé et son expérience. Il est le connaissant, il occupe
l’espace vertical, les pieds en équerre (encore signe de stabilité). Son
chapeau en forme de lemniscate symbolise l’infini (le 8 couché) mais aussi
l’ouroboros enfermant dans son cercle la totalité. Il est l’expression de la
pensée universelle. Dans sa main gauche une petite baguette (magique ?) et
dans sa main droite un denier. Il peut s’agir d’une représentation juive et
chrétienne de la loi et de l’ostie. D’autres y verront le signe du compagnonnage.
La table (analogie avec la Table
de la Loi) fait
office de pierre brute ou d’athanor de l’alchimiste. Il y a une notion de
devenir, il a le temps devant lui, car cette table déborde dans le futur en
sortant du cadre. Le baluchon couleur chair de celui du Mat est devenu jaune (spiritualité) ouvert sur la table. Il en a
sorti les outils sur l’établi dont il va falloir apprendre à se servir. Les dés
avec faces 1-4, signifie que jeter les dés c’est tenter sa chance ; cela
souligne les incertitudes de la vie aléatoire (aléa signifie dé en latin). Alea jacta est, car notre chercheur
détient les quatre éléments. Le couteau symbolise l’Air (avec son fourreau à
côté masculin), le poignard sert à trancher (liberté). Les deniers représentent
la Terre, le corps, la matière. Les coupes sont l’Eau et l’âme, dont le gobelet
marque l’intuition, le féminin, l’émotion. Enfin le bâton c’est le Feu,
l’esprit. Cette baguette permet de commander et diriger, expression de la
volonté et du pouvoir. Les quatre vertus sont aussi représentées avec le bâton
qui est la Force,
la coupe pour Tempérance, l’épée pour la Justice et le denier pour la
Prudence. Le bras gauche qui tient le bâton est dirigé vers le ciel alors que
la main droite est dirigée vers l’élément terre. Le Bateleur est bien la représentation du grand Tout et de l’infini. Il
schématise la pensée de Descartes « Je pense donc je suis. » Il est l’étincelle.
Selon Pascal « Tout l’Univers est contenu dans
l’Unité ». Cette carte souligne la force du UN. Le Un invisible, c’est la
chaine sans fin ; il est à l’origine de tous les nombres, le mystère
engendré de la graine. Il n’existe qu’une seule vérité. Ce « Un »,
renferme donc la lumière fécondante mais aussi les forces constitutives des
quatre éléments, le chaud et le froid, le sec et l’humide, le spirituel et le
matériel, le visible et l’invisible, tout ceci contenu dans un état hors du
temps : l’Éternel moment présent du principe créateur. Pythagore qui passa
22 années chez les prêtres initiateurs d’Egypte considérait le UN comme la
source de l’harmonie universelle. La Kabbale en raccourci explicite la loi
divine, c’est une serrure codée, elle traite de l’Unité, parce que les 10
nombres sephirot et les 22 lettres-sentiers sont la base de toutes choses. Elle
enseigne la présence d’une entité divine unique. Le mot veut dire
« révélation » et confirme le chemin de la foi. Le Tout constitue une
belle Unité… Le Tarot et ses 22 arcanes majeurs représentent entre autres
hypothèses la restitution symbolique de la kabbale. La mort précède une
renaissance, comme le coucher du soleil, attend son lever. La vie de l’âme est
une, perpétuelle dans ses réincarnations. Une légende donne une explication à
la fossette située au milieu de notre lèvre supérieure, dont le nom
scientifique est philtrum, et que
l’on appelle aussi « le doigt de l’ange ». Cet ange qui vient dès la
naissance du nouveau-né lui poser un doigt sur la bouche. Un
« chut ! » afin qu’il ne puisse révéler les secrets de la
Création en lui donnant son innocence (le sac du Mat). L’arcane montre encore ce huit couché du chapeau. En fait il
ne s’agit pas d’un lac d’amour, mais de la figure donnée par le parcours du
soleil dans le ciel reportée par pointage jour après jours sur un cadran
solaire. Ce 8 renversé qui domine la tête du mage est le signe de l’infini de
la nature. Sur un vieux jeu de tarot qui offre des textes sur ses cartes, on
peut lire sur celle du bateleur :
« Une ferme volonté et la foi en
toi-même, guidées par la raison et l’amour de la justice, te conduiront au but
que tu veux atteindre, et te préserveront du péril du chemin. » Le sac
jaune du Mat sur la table contenant
les outils, permet l’apprentissage qui passe par le corps et donc l’expérience.
En fait rien n’est magique, c’est nous qui donnons de la magie au monde et
c’est notre volonté qui agit sur tout ce qui est en surmontant l’illusion. Le bateleur veut apprendre l’art d’apprendre en
maitrisant l’art de se taire. Il peut soit nous faire génial, ou à l’opposé
charlatan. Il nous invite au travail et à l’effort pour atteindre la vérité
réelle. Dans ses mains le bateleur
tient les symboles du masculin et du féminin. Le petit cyprès entre ses jambes
représente l’arbre de vie. En faisant se rencontrer le bâton et le denier, il
suscitera la première étincelle de vie et donc l’Incarnation, ce qui symbolise
le spermatozoïde pénétrant l’ovule. Il représente aussi le principe créateur du
Verbe. Ses pieds à l’équerre avec l’axe du corps, donne les trois dimensions de
l’espace. Le Verbe s’est fait chair, couleur de l’établi. Dans le corps l’être
se recueille comme dans un temple. La table est portée par trois pieds, mystère
de la trinité qui soutient le corps et fonde l’être humain. Le bateleur tient entre ses mains deux
forces d’énergie, les deux autres se trouvent sur l’établi pour qu’il les
travaille. Le couteau symbole du verbe qui est pur, et les coupes : rouge
pour le sang des pulsions et des émotions, jaune pour l’ordre, la loi et la
lumière.
Mais où apprendre à lire le vrai ? Le seul livre représenté
qu’il y a dans le Tarot est celui de la Papesse
(arcane 2) un livre de couleur chair (le livre de notre molécule
biologique). Du trou noir (le Mat),
du néant, surgit l’unité. Le Un c’est le point, le centre, l’unité indivisible.
Spirituellement c’est l’esprit, le Yod. Matériellement c’est l’homme avec son
Ego. Le Un ouvre le Tarot, le point de départ du « Je » qui
s’affirme, qui existe. Inséré entre le
Mat (0) et la Papesse (2), c‘est le triangle
œdipien. Le bateleur représente
l’arrivée au monde ; il passe du rôle d’objet au statut de sujet. Le monde
matériel est le reflet déformé du monde spirituel. Qui dit reflet dit image.
Les archétypes sont à notre psychisme, ce que les instincts sont à nos pulsions
vitales. Le bateleur porte la mémoire du monde et conserve la trace active du
big-bang. De l’union du Mat et de la Papesse l’espace de la conscience
s’offre au bateleur. Les difficultés
humaines viennent de l’expérience de la conscience. Le « Je » de
l’être en devenir nait de cette union et le résultat c’est le bateleur. Funambule au début, perdu dans
les méandres de la matière, il est à la recherche de sa trace originelle dans
le processus créateur. Le chemin de l’esprit passe par la matière. La Papesse est détentrice à son insu de
tous les secrets de la matière depuis le début du monde recensés dans le livre. Le bateleur
est porteur de chair et de mémoires ; il est né morceau de chair, il va
progresser vers la conscience de la mort. L’amour spirituel ne viendra qu’après
le deuil de cette relation avec la papesse.
L’enfant dans le ventre maternel a la mémoire du monde. Le traumatisme de la
naissance refoule cette mémoire dans les profondeurs de l’inconscient. Après la
naissance, l’accroissement se fera par l’esprit et non plus de la chair, d’où
un sentiment d’abandon. Le livre détenu par la papesse contient l’ADN que le bateleur
doit apprendre à lire. La souffrance de l’âme passe par là. Si le conscient est
fait d’images, l’inconscient est fait de mots. Le bateleur va vers le langage. Il reçoit les deniers du monde des
sensations et les bâtons du monde de l’intuitif et du désir. Sur la table se
trouve l’épée (monde de l’esprit et du langage) et les coupes (monde des
sentiments et de l’Amour) qu’il lui faut différencier, acquérir et maîtriser. Le
bateleur au début va construire son
« Je » en éveil dès sa naissance. Mais le « jeu » peut
amener à tricher car l’égo apparaît. Cet autre qui peut nous refouler. Le bateleur se doit d’entrer en relation
avec cet autre. Mais comme le dit l’adage « Attention à ne pas lâcher la proie pour l’ombre ! » car il
convient d’aller vers l’accomplissement du Soi, qui est au bout du chemin
(arcane 21 du Monde). L’âme se doit de
chercher son chemin de vie.
Le Bateleur
est donc le point de départ ; le symbole de la volonté agissante, du
principe de création et de l’activité universelle indivisible. Il doit
parcourir le chemin de l’âme en maîtrisant ses appétits et son esprit au profit
du cœur. Le vrai et le désiré doivent s’imposer afin de trouver leur synthèse
dans le beau…
Trouver la beauté du vrai c’est mourir d’aimer.
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